dimanche 1 juin 2014

Le Togo au plus près de ces habitants et de ces traditions!



Après ce long trajet en bus de plus de 6h00 en direction du Sud Est depuis Ouagadougou, nous atteignons finalement la frontière avec le Togo. Il est 18h00. La chaleur est toujours aussi accablante. La sueur dégouline sur mon front. Mes vêtements son tout trempés et recouvert d’une fine couche de poussière ocre, qui n’a eu cesse de s’immiscer dans le car, par les fenêtres ouvertes, tout au long du trajet. Dans mes sandales, mes pieds sont moites, recouverts de terre ce qui me procure une sensation peu agréable. Je rêve à une bonne douche fraîche, mais le trajet est encore loin d’être fini!

Nous devons descendre du car et marcher vers le poste frontière par nos propres moyens. M’arrêtant devant une borne indiquant le pays, dont je m’apprête à fouler le sol pour la première fois, des jeunes m’interpellent. Je discute et rigole 5 minutes avec eux. Puis je leur demande où se trouvent les bureaux de l’immigration burkinabaise. Ils m’indiqueront le chemin à suivre derrière eux. Heureusement que je leur ai fait cette demande car aucun panneau d’indication m’aurait fait suivre ce chemin. Il n’y a ici aucune machine électronique. Tout se fait à la main sur de vieux registres qui prennent la poussière, par des militaires pas très regardant. Toutefois, la sortie du territoire ne sera qu’une simple formalité! 

Le bus s’est garé un peu plus loin, à la sortie de ce poste. Je peux donc y monter avant qu’il ne redémarre. Le chauffeur n’a pas attendu tous les passagers. Beaucoup d’entre-eux n’ont pas besoin de s’arrêter ou de s’enregistrer au service d’immigration. Il existe une libre circulation entre les habitants de ces 2 pays. Pour ma part, je descends au poste d’entrée au Togo. Le fonctionnaire qui me reçoit n’a pas l’air vraiment au courant des formalités d’entrée. Je n’aime jamais laisser mon passeport à des personnes qui pourraient, à chaque seconde, en faire mauvaise usage ou essayer une certaine forme de racket sous couvert qu’ils appartiennent aux forces de l’ordre. Je ne dis pas que c’est ce que s’apprête à faire ce douanier mais ses sous-entendus, même sous forme de blagues, ne sont pas rassurants.  Il me dit que je pourrais peut-être l’aider avec un petit pécule d’argent local ou de mon pays! Il prend le temps de regarder mon passeport, décrire les détails de mon identité. Il regarde, intrigué, mon visa de l’Entente. Il n’a pas l’air non plus de connaître ce dernier. Heureusement, la concertation avec son supérieur mettra fin à toute ambiguïté. Il tamponne finalement mon passeport sur la page qui fait face au visa. « République Togolaise. Service d’immigration. Entrée Cinkassé, le 03/04/2014». 

Je suis officiellement rentré au Togo. Le bus s’est garé à quelques encablures de là, encore une fois. Je peux donc le rejoindre sans problème, attendre que ce dernier reparte pour poursuivre ma route jusqu’à ma prochaine destination. Quelques minutes plus tard, le chauffeur décide de repartir alors que peu de personnes sont encore présentes. Pour les locaux habitués aucun problème, ils savent que le bus s’arrêtera à la sortie de la ville, quelques kilomètres plus loin, pour faire une longue pause. En revanche, un petit groupe d’ivoirien est du voyage. Un seul d’entre-eux répond présent après avoir rattrapé le bus de justesse. Paniqué, il répète au chauffeur que plusieurs personnes sont manquantes à l’appel. Le chauffeur ne s’en préoccupe guère. Il dit juste qu’ils devront nous rejoindre à notre pause pour le dîner. Sincèrement, je préfère être à ma place plutôt que dans la peau de ces novices du trajet, qui sont peut-être encore à côté de la douane sans savoir ce qu’ils leur arrivent. Heureusement, ce ne sera pas exactement le cas. Ces derniers arrivent à notre hauteur, après quelques minutes, en taxi-moto. Après les avoir distancés, une fois de plus, ils nous rejoindront finalement à notre point d’arrêt pour la collation du soir. 

De mon côté, je vais déguster de «la pâte» (c’est toujours de la farine de blé ou de Mil, transformé en bouillie compact, dénommée «Tô» au Burkina Faso) avec une sauce un peu épicée. C’est dans un kiosque, sur le trottoir, avec plusieurs tables, bien occupées par les locaux, que je trouverais ce repas typique et économique. Après avoir avalé les premières bouchées de mon repas, je peux déjà affirmer, que la présence, en nombre, d’habitant du coin est un gage de fraîcheur et de qualité. En plus de cela, j’ai la possibilité d’avoir une vue constante, en arrière-plan, sur le bus. Cela n’est pas pour me déplaire, bien au contraire. Après plus de 30 minutes de pause, le moteur de l’engin est de nouveau en marche. Il ronronne comme une horloge bien huilée. Les multiples coups du klaxon infernal indiqueront un départ imminent. 

Je retrouve ma place, à la première rangée de siège, derrière le chauffeur. Le bus arrivera en début de matinée à Lomé. Je descends, bien avant, dans quelques heures seulement, pour une première destination renommée du pays. Le bus file à toute vitesse! Après la traversée d’une première grande ville, Dapaong, nous filons à travers le Parc National de la Kéran, où règne une obscurité totale. J’avais prévenu le chauffeur et son suppléant du lieu où je voulais descendre. Ils m’avaient répondu par l’affirmative, me disant qu’ils stopperaient quand nous serions arrivés. Heureusement, pourtant, que j’avais averti aussi un des passagers, que ce dernier m’avait prévenu que la prochaine grande ville, que nous traverserions, serait ma destination finale de la journée. Finalement, rien ne vaut le fait de compter sur soi-même dans ce genre de situation. Nous nous étions tous assoupis, exception faite du chauffeur (quoi que? En tout cas son cerveau devait fonctionner au ralenti car il oubliera totalement sa promesse) mais je vais me réveiller au moment opportun. Quelques boutiques et maisons éclairées me mettront la puce à l’oreille. D’un coup de coude gentilé, dans l’épaule de mon voisin, je le fais sortir de sa léthargie temporaire. Je ne me suis pas trompé. Nous avions atteints la ville de Kandé. Les chauffeurs ne se seraient jamais arrêtés si nous ne les avions pas prévenus. Ils stoppent le car, en plein milieu de la voie, alors que nous avons déjà passé le centre-ville. 

Il est 22h30. Il fait nuit noir. Après m’avoir donné mon sac-à-dos, ils me laissent sur le bord de la route, un peu groggy par ce long trajet. La chaleur est un peu retombée mais je me sens poisseux, recouvert d’une fine couche de terre ocre qui s’est immiscé partout, sur le moindre pore de ma peau, même là où se trouve deux couches de vêtements. J’arrive dans un nouveau pays et je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangé. Je pourrais avoir des doutes sur la perspicacité d’une telle manœuvre, du fait de se retrouver dans cette situation. Je me réconforte en me rappelant toutes les bonnes choses qui m’ont été colportées sur ce pays et ces habitants. Les événements qui vont suivre, seulement quelques secondes plus tard, ne vont faire que confirmer ces dires.

Un groupe de jeunes sont assis quelques mètres plus haut. Ils viennent d’assister à la scène. Je reçois un accueil chaleureux. Ils vont tout de suite me venir en aide. Un de leur ami arrive dans la foulée. Il dépose sa petite-amie et me propose de m’aider. Il s’appelle Gilbert et fait parfois le chauffeur pour les quelques touristes qui viennent visiter les lieux en indépendant. Il me conduit directement dans un petit hôtel pas cher et pourtant très bien tenu. La chambre que le gardien me propose est grande et propre, le lit recouvert d’une literie qui semble neuve et d’une moustiquaire en parfait état. Je n’hésite pas une seconde. La douche froide est salvatrice. J’ai l’impression de renaître. La fine couche de particules de terre s’évacue dans les canalisations. La sueur qui c’était mélangé à cette dernière est englobée dans la mixture d’eau et de savon que je viens d’appliquer sur la totalité externe de mon corps qui ne demandait alors pas mieux. Je me couche ensuite immédiatement utilisant le ventilateur d’appoint, qui n’est alors pas un luxe, au vu de la chaleur atmosphérique qui règne encore à cette heure avancée de la nuit. 
Nous avions convenu d’un rendez-vous le lendemain avec Gilbert pour aller visiter les alentours. Une fois n’est pas coutume dans ces pays, la personne n’est pas à l’heure, mais en avance. Ouvrant la porte pour prendre un peu l’air, avant 7h00, il m’attend déjà, au pied de sa moto. Je négocie les visites que je veux faire et le prix qui sera pratiqué. Je suis un peu sceptique sur les informations qu’il me donnent. Je vais néanmoins pouvoir recadrer le tir après la première visite. Encore une fois, une multitude de petites choses va m’amener à vivre de belles expériences dans les heures suivantes le début de la découverte de ce pays.

Nous partons, en premier découvrir le site de Koutammakou, ou pays Tamberma, inscrit au Patrimoine de l’Unesco. Après avoir négocié le droit d’entrée de cet endroit réputé, mon chauffeur laisse sa moto au guide qui va assurer la visite. Nous prenons une piste de terre ocre pendant plus de 12 kilomètres. Les cheveux au vent, cette transition me permet de me plonger progressivement dans l’environnement du lieu que je vais découvrir. Les paysages défilent. La savane est ici peu dense, faite d’herbes pas très hautes, de petits bosquets, et de quelques arbres centenaires, dont les fameux et sacrés baobabs, qui dominent ces terres un peu vallonnées. Sur le bas-côté de la route, les locaux sont nombreux à se déplacer à pied, pour se rendre chez le voisin, dans le village le plus proche, ou même aller jusqu’à la ville pour faire des achats ou tenter de vendre leur récolte lors du grand marché hebdomadaire. Je découvre ensuite les premières maisons, des villages Tamberma, appelés «Tata». Elles ont fait la renommée de la région.  Ces maisons consistent, en fait, en une série de tours disposées en cercle, reliées entre-elles par un mur épais, et ne possédant qu’une seule ouverture vers l’extérieur.  Ces maisons fortifiées ressemblent donc à de petits châteaux forts. Cet habitat est originellement guerrier. Il a servi à l’habitant pour se défendre contre les invasions tribales pendant de nombreuses décennies, avant de se défendre contre la prise de possession et la colonisation allemande, au XIXe siècle. Avec le guide, nous nous arrêtons dans un des petits villages qui constituent ce groupe ethnique. Nous allons pouvoir découvrir certaines des maisons les mieux conservées de la région. Après avoir salué le chef du village, dès notre arrivée, demandé son aval, nous pouvons découvrir les lieux et rentrer dans sa maison. A l’extérieur de chacune de ces maisons se trouvent des fétiches, utilisés dans la pratique animiste. Dans son entrée unique se tient un sas, où certaines denrées sont entreposées. Il y a surtout un système pour moudre les céréales. Nous pénétrons ensuite dans une grande pièce de vie très sombre, possédant de nombreux recoins et enfoncements de hauteur différente, séparés par des piquets en bois qui sont aussi les fondements de l’habitat. Ils permettaient aux habitants de se cacher si des assaillants arrivaient à pénétrés dans la demeure.  Sur le mur, faisant face à l’entrée et donc aux visiteurs accueillis, se trouvent de nombreux fétiches avec les ossements et têtes des animaux tués par les chasseurs. Puis, un escalier de terre mène dans une pièce intermédiaire qui est la cuisine de la famille.  Les murs de celle-ci sont noircis et carbonisés, par les fumées du feu, qui crépite sous les marmites.  Encore quelques pas de plus, à travers une grande ouverture, et nous voici arrivés sur une terrasse surélevée, construite à l’aide de poteaux et de rondins, puis recouvertes de terre séché. Comme pour les murs, il s’agit  de couches successives d’argiles, de bois et de paille, permettant à ces habitations de rester relativement fraîches toute la journée, même lors des pics de température en fin de saison sèche. L’enduit, quant à lui, est fait avec de la bouse de vache et du beurre de karité qui assure une meilleure étanchéité et résistance aux intempéries, aux usures du temps. Nous sommes ni plus ni moins que sur le toit de la demeure. Ici se déroule l’essentiel de la vie de la famille quand elle se trouve chez elle. Les chambres sont sous de petits dômes, accessibles par des entrées très étroites. Les tours, elles-mêmes, servent de greniers à grains. Sur cette terrasse, les enfants jouent, les parents reçoivent leur invités, échangent, mangent, se reposent. Ils y font sécher les récoltes de millet et de maïs entre autre. L’estimation, pour construire une telle demeure, est d’environ 1 mois pour une famille, aidée par leurs voisins. Il faut ensuite l’entretenir assez régulièrement. 

Après cette première visite, nous irons visiter une réplique créée par l’UNESCO. Dans le but de faire plus solide et de rendre plus fonctionnel la maison et plus facile d’accès, ils ont utilisés des matériaux modernes, tel que le béton, ont agrandis des ouvertures, créés de vrais escaliers pour monter sur la terrasse. Cette dernière résistera plus longuement dans le temps et permet une visite globale, de ce genre d’habitat, pour des personnes à mobilité réduite. Mais elle est dénuée de charme. En tout cas, elle a perdue beaucoup de son cachet.

Lors de cette visite, je vais aussi avoir la chance d’aller au plus près de cette population qui vit encore très loin des standards de notre monde moderne. Ils vivent bien entendu de l’agriculture d’autosubsistance. Le tourisme assez timide dans le pays leur assure néanmoins un petit revenu supplémentaire qu’ils utilisent pour entretenir leur habitat, et pour améliorer un peu leur quotidien, avec quelques denrées jusqu’alors inaccessible.   C’est un plaisir d’être le seul touriste, présent en cette matinée. Je peux partager des moments d’une grande proximité avec les habitants. Beaucoup d’enfants courent nu, mangent des fruits, jouent ensemble. Les adultes, eux aussi, ne sont que très peu vêtus, tous sont torses nus, même les femmes. Par respect, et pour ne pas gâcher le moment, je ne sors quasiment pas mon appareil photo. Le temps à leur côté restera longtemps ancré dans mon esprit. Une certaine quiétude se dégage de ces lieux. J’en repars apaiser, sachant que je viens de découvrir un lieu unique.  
Gilbert m’avait ensuite parlé d’un parc avec des animaux. Je confirme certaines informations avec le guide local. Il est beaucoup trop loin, les coûts plus importants que ce qui me faisait entendre. Il n’y a pas tous les animaux qu’il m’a listé, qu’il m’a fait miroiter. Ce dernier se trouvant au sud, il faudrait, en plus, que  transporte tous mes bagages avec moi. Nous revoyons donc notre accord. Je décide d’arrêter là, avec lui, et de prendre un bus local pour me rendre dans la prochaine ville, Kara. J’ai pourtant envie de découvrir le marché de la ville avant de partir. Sans rechigner, il m’y accompagne. Il n’est que 9h00, un peu tôt pour pouvoir profiter de l’agitation ambiante qui règne habituellement dans ce genre d’endroits. 70% des stands sont encore vides, les marchands arrivent tranquillement et les clients ne sont pas encore légion. Nous allons donc très vite en faire le tour. Pourtant, le choix de venir sur place va changer mon voyage pour les jours à venir. Le fait de m’intéresser aux produits du terroir, aux habitudes des locaux, va me permettre d’obtenir une information qui va embellir mon séjour au Togo. Dans une petite hutte circulaire, une femme vend du Tchoukoutou, bière de Mil. Ce dernier est, pour ainsi dire, identique à celui que j’avais goûté dans le pays frontalier traversé auparavant (Le Dolo, au Burkina Faso). Comme habituellement, ils sont agréablement surpris d’apprendre que je partage le plus souvent de ma vie avec des locaux, que je mange leurs mets, que j’essaie de m’imprégner de leur culture, et d’en tirer des enseignements pour le propre développement de mon intellect. Ce dernier aspect est  seulement une vue de mon esprit, car nos discussions sont loin d’être aussi philosophiques. En effet, l’équivalent de ce lieu en France, serait le bar PMU du coin. Nous ne sommes pas assis au comptoir, mais sur des bancs, en rond, autour de récipients divers (marmites, sots en plastique) qui contiennent le breuvage Ce dernier soûlera la plupart des personnes présentes après quelques calebasses. L’avantage de ce genre d’endroit est le nombre d’informations que l’on peut collecter, sur ce qui se déroulent dans les environs. Les commérages sont monnaie courante et cela m’importe peu pour le voyage. En revanche, ils connaissent aussi tous les événements qui ont eu lieux, en cours, ou à venir. Quand je leur parle de culture. La femme, qui tient le stand, m’indique que je viens de rater une fête locale dans la localité. Je n’ai pas le temps d’en être désolé qu’elle me met l’eau à la bouche avec un autre événement qui se passe à quelques encablures de là. Elle ne me vend pas très bien cet événement culturel. Elle n’a n’y fait des études de tourismes, ni de commerces! Mais après une réflexion instantanée, après avoir constaté que le village est sur la route menant à ma prochaine destination, j’estime que le jeu en vaut la chandelle. Gilbert se propose de me déposer sur place si j’aligne un billet de 1000 francs CFA supplémentaire. Quelques minutes plus tard, nous enfourchons donc sa 150cm3. Nous prenons la route en direction du sud. De nombreuses femmes, récipients sur la tête, sont en route pour le grand marché dans le sens opposé au notre.  Les paysages vont évolués pendant les 30 minutes de routes. Nous passons au niveau d’une faille portant le nom de la prochaine localité, où je vais m’arrêter. Quelques minutes et nous voici sur la national 1, au niveau de quelques maisons. Mon chauffeur tourne alors à gauche sur une route un peu défoncée. Encore quelques centaines de mètres, puis nous faisons face à un terrain de football. De nombreuses personnes sont déjà rassemblées à l’ombre de grands arbres. La fête promise à Défalé devrait bien avoir lieu! Après avoir payé Gilbert, je le libère de ces obligations. J’avance vers la foule d’un pas décidé, mon gros sac sur le dos et le petit en ventral. 

Arrivé proches des premières personnes, je m’arrête l’espace de quelques secondes. Elles me regardent assez dubitativement.  J’entame néanmoins la conversation avec 2 dames. Je leur montre mon intérêt pour l’événement qui devrait se dérouler sur place. J’obtiens alors quelques informations complémentaires.  Je laisse mon sac-à-dos de voyage, appuyé à l’extrémité d’un banc. Puis je pars faire le tour des petits stands déjà installés. Je vais à la rencontre de l’heureuse élu, qui a gagné la veille le concours de Miss du village, et de ces dauphines. Puis je me faits interpellés par 2 jeunes sirotant du Tchoukoutou dans une calebasse. Ils me proposent instantanément de se joindre à eux. Ils s’appellent Emmy et Moussa. A peine ais-je le temps de m’assoir que me voilà déjà avec une calebasse dans les mains. La matinée n’est pas encore finie. Je pense qu’à la fin de soirée, j’aurais bu plusieurs litres de ce breuvage. La fête aura bien lieu dans quelques heures. Emmy va rapidement nous laisser alors que Moussa se propose de m’accompagner. Il m’offre même le logis. Dans les minutes qui suivent, il a besoin de me rassurer sur ces intentions. Il va me présenter à plusieurs hauts dignitaires du village, à des personnes responsables de l’organisation de l’événement. Il veut s’assurer que je puisse tranquillement profiter de l’événement, prendre autant de photos que je le souhaite.  

Avant que la fête commence nous allons déposer mon sac-à-dos chez lui. Nous empruntons de petits chemins de traverse. Après le quelques habitations modernes qui se concentre dans le centre de la ville, nous nous retrouvons très vite dans les habitats traditionnels faits avec le bois, la paille et la terre. Il connait beaucoup de monde. Nous saluons de nombreuses personnes et l’accueil est chaleureux. Je peux assister à plusieurs scènes de vie, impliquant des mouvements parfaitement performés et utilisés par de nombreux ancêtres avant eux. Un homme laboure son champs, un autre monte dans un palmier à la seule force de ces deux pieds reliés par un bandeau, de longueur adaptée à l’arbre, une femme lave son enfant dans une bassine, une vielle dame prépare le Tchoukoutou effectuant de nombreux transvasement entre récipients puis faisant bouillir ce dernier pendant plus de trois jours en continu…. Je croise de nombreuses familles dans leur plus simple élément, ou pour les plus riches, sur leur « trente et un», prêts à aller à la cérémonie. La maison dans laquelle vit Moussa est sommaire, le peu de matériel est vétuste ou dégradé. Malgré cet aspect un peu glauque, l’accueil de sa famille, et une certaine propreté me mettent en confiance. Je dépose mon sac et nous repartons immédiatement par un autre chemin. Je ne sais pas s’il veut pavaner avec un blanc à ces côtés, montrer à tout le monde une certaine fierté du fait qu’il connait des personnes importantes mais nous allons faire ensemble le tour du village. Le fait qu’il invente une histoire, concernant une rencontre antérieure inexistante, me pousse encore plus à valider cette théorie du trophée. Peu importe cela me fait passer des bons moments, me permet de découvrir la population de ce village au plus proche de leur réalité. Force est de constater que je suis le bienvenu chez eux.  Je me vois encore plusieurs proposé du Tchoukoutou que je ne serais refusé. Plusieurs personnes me demandent les raisons de ma présence en ces lieux. Je ne peux pas leur dire que ce matin encore je n’avais jamais entendu parler de cette localité, en raison que Moussa me précède toujours en racontant notre rencontre antérieur factice. Dans mon fort intérieur, cela me fait pourtant esquisser un grand sourire. Ce n’était pas prévu, ni prévisible, mais je m’apprête peut-être à vivre là une des expériences les plus fortes de mon séjour au Togo. 

Je vais encore, pendant de longues minutes, rencontrer des locaux plus ou moins atypiques, plus ou moins exubérants! Moussa ne semble pas pressé de rejoindre le centre névralgique de la fête où le défilé des différents groupes devrait commencer d’une minute à une autre. Je ne veux surtout pas rater ce moment. J’insiste alors pour que nous reprenions maintenant notre route vers le terrain de football. Moussa s’exécute. La suite des événements va confirmer que mon empressement n’était pas sans fondement. Les différents groupes culturels des villages, souvent dominé par le chef du village lui-même, se réunissent déjà. Plusieurs groupes s’échauffent. Nous nous faufilons dans leur rang. Je n’aurais aucun problème à obtenir des photos d’eux, et à leur côté. Certains d’entre-eux me demandent même de leur propre chef. Je danse et apprends des pas assez basiques et répétitifs mais qui te transportent rapidement dans un certains état de transe. Je danse avec le public, des jeunes ou des femmes très âgées, qui ont pourtant encore une pêche d’enfer. De nombreuses personnes partagent leur calebasse avec moi. Comme le veut la tradition, nous buvons, en premier lieu, ensemble en signe de fraternité.  

Cette boisson semble leur faire effet rapidement. Beaucoup semblent déjà bien soûl alors que je commence à peine à en ressentir les effets. Après quelques minutes, l’ouverture de la cérémonie est lancée.  Je me suis mélangé à la foule de badot dont beaucoup du village et des villages voisins pour admirer le spectacle. La chaleur est tonitruante et je n’ai pas le meilleur point de vue. Je ne vais pas rester longtemps dans cette situation. Un organisateur s’est approché de moi et il me demande de le suivre. Il me place sous la tente des officiels, en première loge. Je vais m’assoir entre un chef et un préfet. Je ne suis pas le seul  «Yovo» (homme blanc) présent dans toute l’assemblée, mais nous ne sommes que 3. Les 2 autres sont père et fils. Le premier a joué, et joue encore, un rôle important dans une accession facilité de l’eau pour de nombreux habitants de la région. Ils résident sur place une grande partie de l’année.  

Le spectacle est grandiose. Les villages défilent les uns après les autres. Ils revêtent tous des tenues très différentes. La façon de se déplacer, la mise en avant du groupe, les danses sont aussi très particulières. Une quasi-constante est pourtant notable. Les chefs ont sur la tête un casque orné de cornes de bœuf. C’est un message fort de puissance qui est alors retranscrit.  Les hommes sont plutôt des guerriers. Les femmes dansent plutôt en mettant en scène les gestes de la vie quotidienne.  Le spectacle dure de longues minutes et me plonge dans une ambiance festive et culturellement très enrichissante. 
A la fin du défilé des différents groupes l’ambiance retombe assez rapidement. Moussa me rejoint. Pendant que je mange un plat de riz, sauce arachide pimentée, avec un peu de pâtes, il continue d’enchaîner les calebasses.  Nous nous dirigeons ensuite vers l’unique bar moderne de la ville, qui se trouve au rez-de-chaussée de l’unique hôtel. Dans ces lieux toutes les personnes d’un standing un peu plus élevé se sont retrouvées. Moussa m’introduit auprès de 4 personnes. Il me dit que je dois rester avec elles alors qu’une obligation l’appelle. Je vais très vite découvrir que je me fais payer une bière par le frère du ministre de l’économie; Désiré. La famille est originaire de la ville. Le ministre a une énorme villa, entouré par de hauts murs très bien gardés. Sa fille est arrivée le matin même par hélicoptère. Leur réalité, ce que j’ai pu en voir, contraste totalement avec la vie de la population de masse qui habite ce village, la région et même le pays. Pourtant la cohabitation semble se dérouler le plus simplement du monde.

Après de longues minutes, plus de 2h00 en fait, alors que je commençais à me poser des questions, que désiré et son équipe allaient partir, Moussa fit son apparition. Le retournement de situation est brutal. Il semblait encore sobre avant de partir, il apparaît maintenant dans un état d’ébriété prononcé. Il me dit qu’il ne peut plus m’accueillir chez lui. Le chef du village l’a décidé. Soi-disant car Moussa n’est pas un homme assez digne de confiance pour moi, que ma sécurité, l’intégrité de ma personne et du peu de bien que je possède ne sont pas assurés chez lui. La décision est sans appel. Ce n’est pas moi que revient  le droit de décider ou non du bien fondé de rester avec Moussa. La voie des sages a parlé. Il ne me reste plus qu’à aller chercher mes affaires, trouver un autre endroit pour dormir. L’unique solution se présentant à moi, au moment présent, est l’hôtel dans lequel nous nous trouvons encore lors de cette discussion. Je vais chercher mon sac-à-dos, en reprenant les chemins de traverse. Je salue Moussa sur le pas de sa porte. Je suis désolé pour lui et pour moi, mais il faut respecter les règles de vie du pays. Je ne suis pas convaincu par le fait d’aller dormir à l’hôtel. Au vu de l’expérience que je vis, j’aimerais la passer chez un local. Je me dirige néanmoins vers l’hôtel où quelques personnes pourraient peut-être m’aider. Je retrouve une des connaissances de Désiré aux abords du terrain de football où se déroule un match féminin. Il lui téléphone de ma part. Désiré veut bien m’aider et me loger, mais pas avant quelques heures, car il est actuellement occupé. Me dirigeant vers l’hôtel, je vais revoir une femme avec qui j’avais discuté dans l’après-midi. Il s’agit de Denise. Elle fait ces études à Kara. Elle a vécu toute sa jeunesse à Lomé mais sa famille est originaire du village et des membres y vivent encore.  Elle me demande alors ce que je fais avec tout mon barda avec moi. Lui expliquant la situation, elle va spontanément me proposer de m’emmener avec elle chez son oncle. Je ne réfléchis pas. Je me laisse porter par toutes ces belles opportunités qui se présentent à moi. 

Le soleil se couche. Je l’accompagne récupérer chez une amie ces affaires qu’elle avait laissé en dépôt.  La raison est simple. Son oncle habite bien à Défalé mais dans la partie haute qui se trouve sur un plateau surélevé. Le dénivelé positif est de plus de 150 mètres. Elle n’avait pas voulu faire l’aller et retour simplement pour monter quelques affaires. La nuit tombant, nous entamons donc une ascension fastidieuse, à travers un petit chemin, parsemés de pierres plus ou moins grosses, et qui se fraye un passage à travers la falaise qui tombe à pic. Nous grimpons dans le noir à l’aide de la lumière du téléphone portable de Denise et de ma lampe frontale. La nuit étoilée est splendide. Après de longues minutes, nous atteignons le fameux plateau où la lumière de quelques maisons nous accueille. L’ensemble de maisonnettes et de greniers à céréales, dans et autour d’une cour, qui composent la demeure  de son oncle, est très joli. Je reçois un accueil très chaleureux. Ils me proposent immédiatement de l’eau puis du Tchoukoutou. Je fais la connaissance de plusieurs membres de sa famille. Les discussions s’animent autour d’un bon repas à base de «la pâte», mangée avec la main droite après avoir été trempée dans une sauce. J’apprends que la fête à laquelle je viens d’assister dans la journée, n’est, en fait, qu’une «répétition locale» pour la grande messe du lendemain dans le village voisin de Khapa!

Une fois le repas fini, nous partons nous balader avec Denise, avant de nous rendre dans le bar du quartier, où règne une ambiance déchainée pour ce week-end particulier. Nous buvons une bière et nous allons danser sur les rythmes entraînant du pays et des pays voisins. Je vais établir de très bons contacts avec les enfants, les adultes. Nous rentrons à une heure raisonnable pour être en forme pour le lendemain. Nous dormons ensemble, à même le sol en béton, simplement sur une petite natte fine en paille. L’expérience ne m’effraie pas car j’ai déjà fait plus ou moins la même chose, dans d’autres lieux, chez des locaux, lors de ce périple au long cours. Après avoir trouvé la position adéquate, je m’endors instantanément.  Comme dans beaucoup d’endroit en Afrique, le réveil est matinal. En cette matinée, nous allons prendre le temps, discuter, nous préparer, puis après 10h00, filé à pied vers le village voisin. Marchant en bordure de route, nous n’allons pas nous faire prier quand Désiré, passant à nos côtés, s’arrête. Ils nous proposent de nous emmener jusqu’à destination. Nous sautons à l’arrière du pick-up et voyageons sans effort. 
Nous voilà arrivé à Khapa, où va se dérouler la fête annuelle de la province; la fête de «Sintu-Janjaagu», trait d’union entre les filles et les fils de Doufelgou! Elle a pour but d’ouvrir la saison des pluies, qui coïncide avec la saison agricole. Ils demandent aux ancêtres de les gâter et de leur apporter une pluviométrie assez conséquente pour que tous puissent planter, puis récolter, les cultures qui sont nécessaires à leur survie. 

Tout un dispositif a été mis en place. Des rangées de fauteuil sont installés de chaque côté de la piste où aura lieu la procession des groupes culturels. Ces derniers sont pour tous les officiels et leur famille. Ils sont protégés par des bâches qui font une ombre appréciable avec ce temps, assurément qualifié de caniculaire en France. Tous les groupes s’habillent, se préparent, s’échauffent à l’ombre de grands arbres. Denise reste assise sur un fauteuil au niveau d’un des derniers rangs de la tribune officielle. Je vais, quant à moi, me mêler à la foule des participants pour profiter au mieux des festivités et me mettre instantanément dans l’ambiance féérique, un peu mystique, de ce genre de rendez-vous!

Quand la cérémonie officielle commence, après avoir prévenu Denise, je vais trouver une place assis, par terre, devant le premier rang des officiels. J’ai simplement évité de m’installer devant les ministres, ou les personnes les plus importantes de la fête. Mais j’ai une vue imprenable sur toute la cérémonie. Les groupes vont défiler. Je peux voir un panel très intéressant de danses, qui sont encore pratiqués lors d’événements majeurs de la vie d’une communauté, d’une famille. J’assiste à la mise en scène de rites ancestraux, du défilé de rois de leur région, de personnes exprimant leur fierté de leurs racines, exacerbant leur foi animiste. Nous voyons des rites pratiqués pour les naissances, les mariages, les décès, les fêtes agricoles, les récoltes… La fête bat son plein pendant plus de 2h00. Il y a aussi des chanteurs modernes locaux, les allocutions des principaux protagonistes, dont la ministre de la culture.  J’en prends pleins les yeux! Je ne vais pas voir le temps passé! 

Je rejoins immédiatement après Denise. Elle a aussi profité du spectacle. Mais comme elle me le dira, la répétition annuelle de cet événement, auquel elle a souvent assisté, diminue forcément l’intérêt qu’elle y porte.  Après que la foule se soit dispersée assez rapidement, nous rentrerons tranquillement vers la maison de son oncle, sous une chaleur accablante. Malgré une inactivité flagrante, la journée va passer très vite. Le partage du Tchoukoutou, la préparation du repas, les discussions agrémenteront des heures calmes. Il a fait chaud et grand beau, comme tous les jours précédents. Pourtant l’improbable va se produire. Même la personne la plus sceptique concernant ces croyances et ces incantations ne pourraient que s’incliner devant les faits. Avant le coucher de soleil, le ciel se remplit petit à petit de nuages. Puis rapidement, le ciel est menaçant, les nuages de plus en plus sombres. Un vent se durcissant puis devenant violent annoncent l’arrivée de la pluie! C’est un orage violent qui s’abat sur nous. Le spectacle est magique à l’abri dans les maisons. Il y a presque autant de lumière qu’en plein jour, au vu de l’intensité des éclairs. Le bruit est assourdissant entre le tonnerre et les gouttes d’eau qui s’écrasent violement contre la tôle des toits! Cela va durer plus d’une heure. Le calme reviendra finalement mais les dieux ont parlés! J’espère que cette année sera prospère, que les récoltes seront conséquentes, pour l’ensemble de la population.






Le lendemain matin de bonne heure, je vais assister aux premières loges, à un événement important dans le rituel animiste. Un des cousins de Denise est venu spécialement sur les terres de ces ancêtres pour effectuer des sacrifices, leur faire une demande et obtenir leur approbation. La cérémonie s’organise autour de sacrifices. Ils utilisent cette fois-ci des poulets comme c’est majoritairement le cas. Les sacrifices vont avoir lieu autour de trois endroits majeurs chez la animistes; un endroit sacré naturel, un baobab, au niveau des fétiches de l’ancienne maison de famille, et dans la cours de la maison actuelle. La cérémonie commence par des incantations pour traduire les demandes de la personne qui a fait la requête. Elle est dirigée par les aînés vivants de la famille, qui s’occupent de l’animer, mais surtout qui vont procéder aux sacrifices.

La scène qui suit est un peu dure. Âmes sensibles s’abstenir ! Si je faisais un film de mon Vol Libre, ou si j’avais pris des photos sans équivoque des actions qui se déroulent. J’aurais dû appliquer à cet instant, un postiche : «interdit au moins de 12 ans», minimum!

Le maître de cérémonie attrape le poulet sans ménagement. Utilisant un long couteau, il l’entaille au niveau des jointures du bec. Le but est de faire couler du sang sur le sol, sur les fétiches ou sur le baobab. Les incantations continuent quand ils arrachent ces plumes et les étales un peu partout… L’instant de vérité arrive alors, quand il coupe la trachée artère et jette le poulet au sol. Ce dernier agonise, il se débat, avant d’effectuer ces dernières convulsions.  La manière dont le poulet effectue son dernier soupir déterminera si les ancêtres acceptent, ou non, le souhait du demandeur. Si le poulet à la tête contre terre, le refus est catégorique. Si le poulet est sur le dos, s’il a les yeux vers le ciel, alors la demande devrait être exhaussée. La cérémonie se termine quand les 3 sacrifices ont été effectués. Cela n’implique aucune dépense physique, surtout pour moi qui n’est qu’un observateur. Pourtant je vais en ressortir fatigué!

Il va s’en dire que les poulets sont ensuite préparés. Ils seront cuisinés pour les repas suivants. Denise aimerait bien que je reste avec elle plus longtemps. Je ne serais pas contre au vu de l’expérience inattendue que je viens de vivre. Mon planning n’est pas en flux tendu mais j’ai pourtant d’autres projets qui m’attendent. Je décide donc de continuer ma route vers le nord, en fin de matinée. Après avoir remercié la famille, je monte dans le premier minibus local en partance pour Niamtougou où c’est le jour de marché. Cette ville sera une étape très brève avant d’atteindre la destination finale de la journée; Kara.
La route est très belle, à flanc de collines verdoyantes, dans des paysages bien préservés. Le trajet est assez court. A l’arrivée de Niamtougou, c’est le chauffeur du minibus, lui-même, qui va me trouver un chauffeur pour m’emmener jusqu’à Kara. Après quelques minutes, je monte dans une voiture qui pour une fois n’attendra pas pour se remplir. Ce n’est pas un taxi collectif mais un chauffeur qui fait des livraisons. Il vient de finir son travail sur place. Il repart à Kara où il habite. Le trajet est plus confortable qu’à l’habitude. Le chauffeur va pouvoir m’apprendre pleins de choses sur la région, la ville de Kara et ces alentours.  Je lui parle de mes projets pour le reste de la journée et des visites que j’aimerais effectuer. Il n’existe pas de transports en commun quotidien et régulier pour les lieux où j’aimerais me rendre. Il est lui disponible toute l’après-midi. Je négocie donc le prix de ces services, du trajet et des frais de carburant. Il me dépose aux Affaires Sociales, centre possédant des logements à coûts réduits. Nous nous donnons rendez-vous 2h00 plus tard.  Ce centre est très grand. La chambre dortoir, dans laquelle je vais dormir, est sommaire, mais propre. La literie n’est pas du dernier cri mais assez confortable. L’endroit me plait bien. 6 lits sont disponibles mais pendant mon séjour, ce dortoir se transformera, pour mon plus grand plaisir, en chambre privative car personne ne viendra occuper les lieux.  Je m’assoupis un peu sur un des lits qui se trouve sous la ventilation centrale. 

Réveillé quelques minutes plus tard, cette sieste m’aura requinqué pour le reste de la journée. J’aime, et j’ai toujours aimé, ce sentiment après une sieste d’une vingtaine de minutes. Je me réveille toujours sur «un petit nuage», une attitude très positive et zen, décontracté. Le sourire aux lèvres, je suis prêt à repartir pour une seconde moitié de journée. Peu importe, si le reste de la journée s’annonce dur, si je pense être confronté à des problématiques complexes, ou à un programme très chargé, une quiétude m’a envahie. Elle ne me quittera pas, au moins pour plusieurs dizaines de minutes. 

Au retour de mon chauffeur, nous allons visiter deux principaux sites. A 15 kilomètres au nord-est, nous nous rendons dans la région du mont Kabyè. Les paysages y sont spectaculaires, formés de longues chaînes vallonnées parallèles, couverte de nérés, de baobabs et de palmiers. Mais l’intérêt principal, de ce massif, est les quelques villages qui pratiquent encore de l’artisanat traditionnel. Connaissant bien les lieux, il va m’amener dans des lieux atypiques, nous parlerons beaucoup avec les artisans. J’apprends beaucoup concernant leur métier, leur passion, ces métiers qui les font vivre.

Nous ne nous éterniserons pas non plus. Une autre belle étape nous attend en cette fin de journée. Ayant rejoint la route principal du pays, d’axe Nord-Sud, nous bifurquons assez rapidement vers l’ouest et un chemin de terre assez bien aménagé. Nous passons devant de nombreux petits villages, où les habitants ont une vie simple, sans superflu. Le petit plaisir du moment est la saison des mangues. Du plus jeune âge jusqu’à l’arrière-grand-mère de plus de 90 ans, tout le monde se régale. Malheureusement, n’ayant aucun moyen de conservation de ces fruits, n’ayant pas les structures pour les exporter, les pertes seront énormes. Des centaines d’entre-elles pourriront dans les paniers fautent d’être vendu, ou à même la terre car ils n’auront pas pris la peine de les ramasser. En attendant,  les locaux en mangeront parfois sûrement jusqu’à indisgestion. Ils ont accès, sans effort et sans dépenses aucune, à un produit gouteux, sucrés! 

De longues minutes s’écoulent. Nous arrivons finalement à l’entrée d’un Parc, celui de Sarakawa. Il s’agit d’une réserve créé de toutes pièces par l’ancien président. Ce vaste terrain regroupe de nombreuses espèces locales, mais aussi quelques animaux, venant de tout le continent, qui y ont été introduits avec succès. Seul un gardien se trouve à l’entrée du parc. Je suis l’unique touriste dans les parages. Je lui demande alors les conditions d’admission.  Je viens de m’offrir un safari seul, avec jeep, chauffeur et guide pour une somme dérisoire. C’est un vrai bonheur! Je vais tout de même partager ce safari avec mon chauffeur de taxi. En effet, ce dernier connaît le conducteur de la jeep, qui le fait monter «à l’œil». Nous voilà parti pour plus de 2h00 de promenades dans des paysages époustouflants. Le guide est très compétent. Il m’apprend beaucoup sur la nature environnante, l’interaction entre la flore et la faune, l’importance de certaines espèces végétales, les saisonnalités qui influencent le comportement des animaux. Pour un premier safari en Afrique, je ne vais pas être du tout déçu. Je sais qu’il n’y a aucun des impressionnants animaux, que l’on associe toujours à l’Afrique, que l’on appelle «Big five». Il s’agit des « 5 gros», que sont l’éléphant, le lion, le léopard, le rhinocéros et les buffles (pour ces derniers, je vais pouvoir en observer quelqu’un mais rien en comparaison avec le nombre présent dans d’autres pays). Il n’y a pas non plus de girafe, d’hippopotame. Mais je vais découvrir de nombreuses espèces que je n’avais jamais pu, auparavant, observer dans leur milieu naturel.

Au fil de la promenade, nous nous approchons au plus proche des cobes de Buffon, du Water Buck ou Cobe Defassa, de l’hippotrague ou antilope chevaline, du Bubale, de l’élan du cap, du buffle d’Afrique et des gnous à queue noir, des potamochères, des autruches d’Afrique et des zèbres de Burchell. Nous allons voir aussi de nombreux oiseaux et des groupes de singes gigantesques venus se réfugier dans cet espace protégé, pour échapper à la chasse, dont ils sont victimes à l’extérieur. Je me régale. Je ne vois pas passer mon temps, entre prises de clichés et admiration de ces animaux évoluant, en pleine quiétude, dans un environnement propice.  Je n’ai pas vraiment envie de revenir à la sortie du parc, de quitter ce monde animal qui me fascine. Je garderais longtemps des souvenirs marqués dans mon esprit de ce safari. J’attends avec impatience les prochains qui ponctureront mon séjour sur ce continent. 

Comme évoqué auparavant, c’est la pleine saison des mangues. Il y en a à ne plus savoir qu’en faire. A l’entrée, ils possèdent de nombreux arbres où une multitude de mangues gisent sur le sol, surtout après les vents violents qui ont sévis la veille au soir. Je me permets de leur demander si je peux en ramasser quelques-unes. Je repars finalement avec un sac plein, contenant des dizaines de mangues mûres à souhait! «Ni trop, ni trop peu»! La quantité est trop conséquente pour moi seul. Je ne peux pas non plus les conserver indéfiniment dans mon sac-à-dos. J’en distribuerais donc à mon arrivée en ville. 


C’est d’ailleurs à Kara, que je vais passer entièrement la journée suivante. Cette ville doit son essor, à sa proximité, avec la ville de Sya, ville d’où est originaire l’ancien président du pays. Kara s’est beaucoup développée grâce à plusieurs usines importantes, dont des brasseries, qui se sont implantées dans la ville. Je vais déambuler dans les rues de cette ville, atteignant même les périphéries agricoles et boisées. Malgré une certaine modernité, il est encore possible de voir la précarité dans laquelle vive la plupart des citoyens du pays. La propreté n’est de rigueur que dans d’infimes proportions de la ville. De nombreux endroits, dont les rivières et ruisseaux qui coulent, à travers la ville, ne sont que d’énormes décharges à ciel ouvert. Sur le béton des routes, ou sur les bas-côtés en sables, des dizaines de détritus jonchent le sol au mètre carré. Très peu de magasins peuvent être qualifiés de moderne. Quand une enseigne porte pourtant cette dénomination, tel que «boucherie moderne», il faut voir les conditions de stockage de la viande. Un bœuf entier découpé en morceaux est regroupé sur une table en bois à l’air libre. Les commerçants finissent la découpe de la tête et d’autres parties durs de l’animal, à même le sol, sur une simple bâche plastifiée, avec une hache rouillée. La «modernité», ou ces signes apparents, dont on fait croire à la population qui sont indispensables sont tout de même présent. Presque tous ont un, deux, voire trois téléphones portables dans leurs poches. Ils veulent tous s’habiller avec des jeans et quelques marques branchées de vêtements. On peut voir aussi de nombreuses antennes satellites sur les toits des maisons. Pourtant, des centaines de commerçant, à la sauvette, essaient de vendre des denrées pour quelques dizaines de francs CFA. Beaucoup peuvent à peine manger à leur faim quotidiennement. Cela reste une nourriture calorifique, de survie en aucun cas de plaisirs gustatifs. Une fois encore, le fossé qui existe entre les classes aisées qui circulent dans de gros 4x4, flambant neuf, et la majorité de la population, est flagrant. Pourtant, la plupart des personnes sont chaleureuses, accueillantes. Lorsque je leur souris elles me saluent avec un plaisir non dissimulé. Les togolais vivent avec une forte dignité, un respect de l’autre, un sourire véritable pour la chance qui leur a été donné.
Dès le lendemain, je continue ma route. A la station des taxis collectifs, je vais attendre quelques temps. Quelques ivrognes, disant m’avoir accompagnés jusqu’ici, réclament une pièce. Ils n’ont fait que me suivre. Heureusement les conducteurs de taxis et surtout ceux qui gèrent «la station» me débarrasseront rapidement d’eux. Je vais attendre de longues minutes dans la première avoir que l’on m’avait attribué, avant finalement d’être transféré dans une autre pour un départ quasi-immédiat. Nous allons effectuer seulement 50 kilomètres, jusqu’à Sokodé, la deuxième ville du pays. Je trouve néanmoins le temps interminable jusqu’à destination. Heureusement, la faille d’Alèdjo, véritable coup de sabre, à la force de l’homme, dans la roche, sera un petit moment de divertissement à mi-chemin.  Je ne serais pas vous expliquer pourquoi mais je n’aime pas forcément l’atmosphère qui règne à Sokodé. Ceux sont seulement quelques rencontres, quelques lieux qui embelliront mon séjour sur place.

Tout d’abord, je dors dans un dispensaire, où l’accueil est chaleureux. La chambre, qui m’a été attribué, est très propre. Je visite ensuite le musée régional en plein centre-ville. Il s’agit d’une simple pièce regroupant quelques objets. Rien de transcendant visuellement parlant, mais les incroyables facultés de conteur du gardien, qui est aussi le guide, vont me plonger dans l’histoire du pays, des ethnies, des guerres de clan et des modifications engendrées par la colonisation!

Dans la foulée, je me rends dans un centre d’apprentissage pour le tissage. Les femmes travaillent encore la fabrication des pagnes sur de vieux métiers à tisser. Après avoir obtenu quelques explications, je vais passer de longues minutes à les regarder exceller dans le maniement de ces machines. C’est un métier répétitif, pour lequel il faut détenir une vraie dextérité, et pouvoir s’armer de patience, pour la fabrication d’une pièce en plusieurs jours. Continuant de déambuler dans les rues de la ville, je tombe sur plusieurs ferronniers qui travaillent le fer, à mains nus, sans protection aucune. Ils redressent et coupe le métal sur une vielle enclume, à l’aide d’outils rouillés. Leur four est fait de terre glaise. Le système pour rendre incandescent les braises n’est qu’un simple souffleur actionné manuellement, à l’aide d’une manivelle. Là aussi c’est un travail de dure haleine. Mais ils ne rechignent en rien à passer des heures pour faire une pièce qui leur rapportera quelques centaines de francs CFA.

Après avoir réservé finalement une sortie, pour le lendemain, dans la plus grande réserve du pays, je fais quelques découvertes intéressantes. Un artisan sculpteur sur bois m’ouvre ces portes. Le personnage a un certains charisme, il vit dans des conditions précaires, sur un matelas totalement désossé, à même le sol, dans son atelier plein de sciures de bois. Il a pourtant la foi dans son travail et son talent. Après une démonstration de son art effectuée, il me donne le détail des commandes déjà passées. Je ne résiste pas au fait de lui donner un petit coup de pouce en achetant une petite pièce, en bois d’ébène noir ; un penseur, comme j’en avais encore jamais vu.

Je reprends finalement le chemin de ma chambre pour la nuit. Je tombe sur le marché. J’en parcours les petites allées boueuses. C’est un chaos sans nom! Les vendeurs sont partout, beaucoup portant ce qui vendent dans des bassines ou des plateaux sur leur tête. Dans les échoppes, les produits sont disposés, sans organisation, sur des étagères bringuebalantes. Une fine couche de poussière recouvre parfois certains produits, les fruits pourrissent dans des panières, d’autres ont une date de péremption dépassée depuis longtemps… Ce marché possède pourtant une vraie âme qui met en alerte mes 5 sens! Je vais y rencontrer une des femmes qui accompagnées Désirée, quand il nous avait pris à l’arrière de son pick-up pour aller à la fête de province. Elle l’appelle. Je discute quelques minutes avec lui. C’est un petit clin d’œil sympa du destin qui me rappelle les bons souvenirs d’un passé encore très frais dans mon esprit. Dans un tout autre registre, le soir se déroule les demi-finales de football de la Champions League (plus grand championnat européen des clubs). Je trouve un lieu pour regarder un match. Une fois encore, je vis un moment un peu spécial. La soirée se déroule dans une pièce exigüe, avec un plafond assez bas, recouvert d’un grand plastique noir. J’arrive avant le début des matchs et la pièce est déjà bondée. Je trouve néanmoins une place pour m’assoir, avec un bon point de vue, non pas sur un mais deux écran. En effet, ils retransmettent les deux matchs en même temps et tu peux regarder à ta guise l’un ou l’autre, ou passer de l’un à l’autre au fil des actions. Je n’avais encore jamais vu cela. Malgré l’entrée payante, la salle sera bientôt plus qu’un amas de personnes assises ou début, d’épaules au touche à touche, de têtes noires concentrées sur les écrans, avec un seul intrus facilement reconnaissable par sa couleur pâle. Pourtant, je ne me sens pas comme une tard, ou un défaut qu’il faudrait expulser de ce lieu. Je me sens bien, serein, accueilli avec respect. Je partage le même moment de vie que tous mes frères, avec qui je plaisante. Je les taquine quand l’équipe que je supporte sera en phase de se qualifier contre la leur. Ce n’est ni plus ni moins qu’un match de football que je viens de regarder. Mais vu l’effervescence autour d’un tel événement dans le pays, c’est un vrai instant culturel que je viens de vivre quand sifflera le coup de sifflet final des deux matchs.  
Je me rends ensuite directement au lit. Le réveil ne sonnera que quelques heures plus tard.  Je vais visiter la réserve de Fazao-Malfacassa, lieu d’association végétale naturelle, sanctuaires pour des animaux de tous genres, havre de paix, qui se prête à un safari-photo malgré la difficulté d’observation de la faune. En effet, sa beauté est indéniable, mais ce parc est assez impénétrable. Il est aussi affecté par de nombreuses problématiques. La première est l’affluence touristique quasi-inexistante, qui ne permet pas de ramener une manne financière pouvant participer à son développement.  Ils ont enregistrés une cinquantaine de visite pour toute l’année 2013 et moins d’une vingtaine pour l’année en cours. Pas besoin de vous dire donc que je me retrouve seul pour effectuer ce nouveau safari. Ensuite, il y a l’absence de texte juridique érigeant la réserve de faune en parc national. Les limites de ce dernier ne sont pas matérialisées, entraînant un développement important des problèmes sous-jacents. Parmi eux, il  y a la pression démographique des contrées riveraines qui se matérialise par l’avancée des champs. L’exploitation anarchique des essences forestières par endroit. La déforestation dans le but d’utiliser le bois vert pour la carbonisation. Le braconnage pour la viande ou la vente de l’ivoire. L’orpaillage qui détritus des milieux naturels et pollue les cours d’eau. La transhumance des peuples Peuls. Le manque de moyen financier ne permet pas de solutionner ces problématiques et cela en engendre d’autres. Par exemple, le non dédommagement des paysans suite aux déprédations des champs par des animaux, qui n’encourage pas la population locale à faire des efforts. Le manque de support logistique est flagrant ce qui empêche entre autre  l’ouverture de nouvelles pistes.  Un relief très accidenté constitue un des derniers remparts contre l’avancée humaine, impliquant aussi un accès difficile à certains endroits du parc pour ceux qui désirent le découvrir. 

Je ne sais pas si mon humble contribution y changera quelque chose.  Quoi qu’il en soit, je vais vivre 4h00 agréable de safaris. Une fois encore, je vais sortir de cette expérience avec de nombreuses connaissances supplémentaires dans ma besace. Nous n’allons pas voir les animaux en quantité, à seulement quelques mètres. Mais la rareté faisant la richesse, je vais apprécier ce que je vais pouvoir observer. J’ai la chance de voir de nombreux oiseaux, quelques reptiles, des antilopes. L’apothéose aura lieu, quand arrêter derrière des fourrés, je vais pouvoir observer mes premiers éléphants d’Afrique dans leur milieu naturel. Je pourrais en voir trois, se déplacer tranquillement, se nourrissant de quelques feuilles, avant de disparaître dans une forêt épaisse et inaccessible. Le moment sera beaucoup trop bref. Mais comme toute première, il restera gravé indéfiniment dans mon esprit.  
Quittant le parc, j’ai prévu de ne pas retourner à Sokodé mais de pousser toujours plus vers le Sud. En bus, je reprends donc la national 1. La nature y est belle et verdoyante. Sur les bas-côtés, les champs gigantesques de céréales se battent la place de lauréat de la magnificence, avec les collines rocailleuses, les arbres centenaires sur lesquels se déploient les ailes d’une multitude d’oiseaux plus ou moins gros. Je ne pense pas, je suis même certains, que ce n’est pas cela qui déconcentre les chauffeurs pour qui les accidents sont nombreux. Le contraste est saisissant avec ce qui se passe sur la route, avec  le non-respect de l’être humain pour soi-même et son environnement.  Il est possible de voir de nombreux véhicules, gisant sur le bord de route, totalement défoncé. Nous verrons même deux camions arrêtés au beau milieu de la chaussé. Le deuxième est venu s’encastrer dans le premier. Il a littéralement explosé son cockpit venant le réduire de plus de 80%. Je n’ose même pas imaginer l’état dans lequel sont sortis le conducteur et les possibles passagers. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les accidents sont souvent tragiques car les véhicules ne répondent plus du tout au standard de sécurité actuel, les moteurs sont dessués, la carrosserie souvent défoncée, et la moindre pièce à souvent plus de 300 000 kilomètres.  Je n’ai même pas calculé le nombre de camion, tout particulièrement, mais aussi de minibus et voitures, stoppés sur les bas-côtés pour des pannes, des casses mécaniques ou moteur. La vétusté des véhicules n’est même pas à démontrer. Les machines sont totalement rouillées, avec de multiples réparations de fortune qui ne font que fragiliser les véhicules, qui sont toujours largement au-dessus de la limite maximum de surcharge. Si vous rajoutez la vitesse de conduite souvent bien au-dessus de l’acceptable, et vous comprenez aisément pourquoi il n’est pas chose aisée d’être rassuré sur cette route, surtout quand vous n’êtes pas maître de votre véhicule et que votre chauffeur n’est pas mieux que les autres. Seul aspect très positif, cette fois-ci, je suis dans un véhicule plutôt moderne. 
J’atteins finalement Atakpamé sans avoir été accidenté, en bonne santé. Cette ville, refuge de l’antiquité, est bâtie à 500 mètres d’altitude. Elle se trouve perchée dans un cadre luxuriant. Elle est un carrefour commercial très important de la région et le marché du samedi y est toujours très conséquent. Arrivant en semaine, je ne vais pas profiter de ce dernier mais de ces autres atouts. Je vais loger dans le bâtiment des Affaires Sociales, dont les dortoirs sont un peu miteux. Cela ne me dérange pas pour deux nuits car les matelas sont corrects. Il ne me reste plus qu’à sortir mon «sac à viande» en tissu de soie d’Inde.  J’ai la chambre pour moi seul et une fois la pièce débarrassée des quelques toiles d’araignée et de ces habitantes, je passerais des nuits tranquilles. 

Le lendemain, je demande des informations auprès des personnes s’occupant de ces locaux. Ils ont l’air plutôt bien renseignés. Ils me proposent les services de leur chauffeur moto. Je leur demande confirmation concernant la possibilité de voir des hippopotames à la marre de Nangbéto. Ils me disent que l’on en voit de très près, que la probabilité de les voir est 100% garantie. Pourtant je refuse une première fois, trouvant cela un peu cher, ne voulant pas passer mon temps à faire de la moto car ça se trouve à plus de 60 kilomètres. J’aurais dû écouter mes premiers instincts! Je reviens sur ma décision, me disant que je n’aurais pas la chance tous les jours de revoir de tels spécimens, que j’aimerais passer un peu plus de temps avec eux que j’en ai passé au Burkina Faso. Nous tombons d’accord sur le montant que je lui verserais pour l’ensemble des services. Puis nous enfourchons sa moto, pour emprunter un long chemin en terre ocre battue. Le premier stop après quelques kilomètres est la ruine de la base allemande de Kamina. Cette dernière fut reliée directement à Berlin par radio. C’est ici que les Allemands firent leur reddition aux alliés en août 1917. Rien de passionnant à observer, seulement quelques ruines plus ou moins conservées. 

Sur la route, les paysages sont intéressants. Le vert des arbres et de quelques plantations, le rouge de la terre, le bleu dans le ciel parsemé de gros nuages blancs forment un panel de couleurs intéressants. Les termitières, faisant jusqu’à plus de 4 fois ma taille, se distinguent par leur gigantisme et leur forme parfois très profilé. Les enfants sortant de l’école, en uniforme, les femmes portant leur charge sur la tête créent une ambiance très typique du pays. Mon chauffeur avait pourtant pris toutes ces précautions en faisant regonfler ces pneus à la bonne pression. Pourtant manque de chance, nous crevons. Dans notre malheur, cela nous arrive quand nous venons d’entrer dans un des seuls villages disséminés le long de ce chemin. Et voilà comment, on se retrouve à passer plus d’une heure sur le bord de la route, à attendre que le mécanicien mette une rustine à la jante de notre roue arrière. Comme souvent dans ces situations, cela se transforme en un moment assez cocasse. Très peu de touristes passent dans les parages. Je vais ensuite l’apprendre à mes dépends! En attendant, ma présence dans ce village éveille la curiosité. Plusieurs personnes vont venir me voir, essayer de comprendre ma présence sur place, de devenir amis avec moi, ou simplement m’offrir une calebasse de Tchoukoutou, du fromage frais et une ou deux autres denrées que je conserverais pour un peu plus tard. Une fois la moto réparée, nous reprenons la route. Le ciel s’est rapidement couvert. Nous nous prendrons quelques gouttes mais échapperont à la majorité des nuées localisées.  Encore plus d’une demi-heure de trajet et nous voilà arrivé aux abords du plan d’eau de Nangbéto, qui n’est pas vraiment une mare, mais un lac artificiel, d’une superficie de plus de 180 km2, créé par un barrage hydroélectrique. Je venais voir des hippopotames et voilà que l’on me propose une visite du barrage. L’incompréhension est totale. Nous ne devrions pas être là sans autorisation mais ils nous laissent tout de même passer. Nous joignons un groupe qui visite les installations hydroélectrique. Je comprends très vite que je ne verrais pas d’hippopotames de très près, même pas d’hippopotames tout court. Voilà plus de 3 ans que le dernier a été vu dans le coin. Des habitants étant venus habités près des installations, ils ont chassés ces animaux de leur territoire, ou les ont tués pour leur chair et leur graisse… Je suis un peu dépité et dégoûté d’avoir fait tout ce trajet pour rien surtout après que j’ai eu acquis la certitude de pouvoir les observer avant de partir. 

On me dit de prendre cela avec philosophie, que «c’est l’Afrique» !  Je déteste cette insinuation négative concernant ce continent qui serait une justification qu’ici tout peut se passer surtout le pire et qu’il faut faire avec sans rien dire. Quoi qu’il y en soit, il y a eu mensonge de mes interlocuteurs, même si c’est par omission ou incompétence, cela ne me plait pas vraiment. «J’avale tout de même la pilule». J’écoute attentivement le guide donnant les explications sur cette infrastructure humaine. Puis, je perds patience connaissant le principe et ce type d’installation. Je demande donc au chauffeur de reprendre la route pour rentrer sans demander notre reste. Soi-disant que le gardien du site avait demandé un bakchich. Il était hors de question que je lui en donne un. Pour cette raison nous nous faisons arrêter à la barrière de sécurité de la route nationale qui mène vers le Bénin (prochaine destination où je me rendrais dans quelques jours). Il y a une altercation entre le gardien et mon chauffeur. C’est le policier, affecté à ce poste, qui remet tout en ordre, en disant qu’ils ne devraient pas montrer une mauvaise image de leur pays en se bagarrant devant un étranger. Je ne peux être que reconnaissant de ce geste. Je suis ravi de reprendre la route. Nous nous arrêtons à une nouvelle barrière de contrôle pour confirmer que les hippopotames ne sont plus présents dans les environs. La confirmation tombe, je ne verrais pas ces animaux majestueux aujourd’hui. Après mettre fait une raison, je profite comme je peux du trajet retour. Nous nous arrêtons au marché d’Akparé, où les personnes  rigoleront de bon cœur, avec moi, alors qu’elles sont très surprises que je partage aussi facilement leur tradition, que je boive le Tchoukoutou avec eux. Je suis un peu l’attraction de ce marché très animés, où très rare doit être la présent d’un occidental. Beaucoup de personnes nous suivront, nous saluerons… Pour ma part, je retiens surtout la rencontre avec le peuple Peul. Ce peuple a des traits du visage très particuliers, des coiffes pour les filles reconnaissables entre tous. Je garderais en mémoire, ce sourire d’une charmante jeune femme de leur ethnie, avec un visage splendide, qui me touchera avec un sourire ravageur et un beaucoup de timidité. 

Je n’en crois pas mes yeux, de retour aux Affaires Sociales d’Atakpamé quand, comme promis, je donne le complément d’argent au chauffeur et que je l’entends me répondre. «C’est tout, pas plus!» je ne peux que constater des différences culturelles fortes. En France, j’aurais demandé à être remboursé de la totalité du périple car l’objectif n’a pas été atteint, que les personnes qui m’ont aidées à organiser le tour sont totalement incompétentes et qu’elles m’ont mentis. Cela fait plus de 3 ans qu’un hippopotame n’a plus été vu auprès du lac, alors qu’ils me disaient y emmener des clients régulièrement. Je passe outre ces faits car j’ai tout de même passé un bon moment. Et puis, il faut au moins que le chauffeur rentre dans ces frais, qu’il n’a pas exagéré pécuniairement parlant. Mais je ne vais pas non plus lui faire des cadeaux en plus, pour lui montrer ma satisfaction, ou plutôt dans ce cas mon insatisfaction. Nous terminerons en bon terme, après avoir passé un bon moment même si je garde toujours un peu en travers la gorge ce genre d’expérience. Je relativise très vite en me disant qu’il y a plus grave, beaucoup plus grave, et que dans l’ensemble, je suis plutôt «très chanceux» (beaucoup de choses ne sont pas question de chance comme j’aime à le répéter, mais plutôt de choix et de décisions). Je reste pourtant conscient que nous ne sommes pas nés avec le même destin entre nos mains, la même destiné. Je serais aveugle pour ne pas m’en apercevoir sur ces terres, où la vie n’est pas tous les jours facile, où je dois essayer de tendre la main à ceux qui me la tendent et qui n’ont pas les mêmes opportunités que moi.

Je vais très vite repartir sur une dynamique positive. Une rencontre en début de soirée me permet de passer un très bon moment. J’avais ignoré les appels de deux jeunes lors de mon premier passage à pied, alors que je découvre la ville. A mon retour vers l’hôtel, je m’arrête à leur niveau. C’est Hervé qui s’adresse à moi. Il me dit qu’il fait partie de l’association artistique et culturelle Zogbeadji. Avec le groupe de musique, ils répètent se voir. Il m’invite à y assister. Je ne boude pas mon plaisir à voir un groupe de musique local et surtout à pouvoir danser avec eux. Ils sont talentueux! Le rythme des djembés et autres instruments de percussions enflamment la petite cour ouverte où se déroule leur répétition. Pendant que les uns jouent des instruments, chantent, les autres se lancent dans des chorégraphies, que j’ai toujours considéré comme des enchaînements pouvant facilement me mener dans un état de transe. Je saute sur l’occasion dès qu’ils m’invitent à les rejoindre sur la piste. Peu de spectateurs sont présents mais un vieux monsieur, d’une impressionnante stature, viendra me féliciter à la fin de ma prestation, me disant qu’il apprécie que je partage leur culture. Ce moment assez simple, si nous ne prenons que les faits, est un instant de bonheur à l’état pur comme je les aime. Si ma vie ne pouvait être faite que d’une succession de tels instants, je serais un homme comblé. Je vais m’y employer!
Je salue tout le groupe. Nous nous jurons de rester en contact avec Hervé. Je ne m’attarde pas car j’ai prévu de me lever tôt pour attraper un taxi collectif partant vers l’ouest. Je quitte l’axe principal pour rejoindre une ville bordant la frontière avec le Ghana. Ce pays est si peu large qu’il est simple de passer en moins de 24h00 de la frontière se situant à l’est, à celle se situant à l’ouest. Je quitte l’hôtel, sac sur le dos, avant même le lever du soleil. Dans le ciel, des centaines de chauves-souris se partagent l’espace, tournoyant dans tous les sens, essayant de se partager le festin de petits insectes qui virevoltent ici et là! Puis progressivement le ciel s’embrase d’une couleur violacé, qui tournera rapidement à un dégradé de couleurs commençant par le rouge pour terminer par un jaune très claire. Sur cette route annexe menant à Kpalimé, je prends un moyen de transport qui ne peut pas avoir plus la saveur locale de ce que l’on nomme bondé et en surcharge. Dans une vielle voiture bien abîmé, nous sommes tout d’abord 4 sur la banquette arrière de trois. Ils sont deux sur le «siège du mort», à côté du conducteur. Le toit est plein de bidons vides et le coffre de toutes nos affaires. Nous n’allons faire que quelques kilomètres dans cette disposition. La capacité de la voiture n’a sûrement pas encore été assez exploitée si l’on se réfère aux critères du propriétaire et chauffeur. Nous nous arrêtons dans une ferme. Ils chargent dans le coffre deux sacs énormes, de plus d’un mètre cube chacun, remplis d’oignions. Leur poids dépasse, sans aucun doute, les 100 kilogrammes. Le coffre est  maintenant semi-ouvert, tenue par des cordes. Nous accueillons un autre passager qui se met sur le siège du conducteur. Ils sont quatre à l’avant, et nous avons 2 conducteurs possibles! Rassurant, non, pas vraiment! Mais c’est là, le quotidien des personnes qui voyagent tel que les locaux dans ces pays… L’expérience restera intéressante. De plus, très vite, le superbe lever de soleil ne va être qu’un lointain souvenir. Le vent se lève instantanément alors que nous venons de faire que quelques dizaines de kilomètres. Le ciel, déjà un peu couvert, devient d’une noirceur qui ferait peur au plus téméraire. Seulement quelques secondes suffiront pour que la pluie commence et qu’elle se transforme en un mur d’eau tombant du ciel. L’adjectif diluvien est alors loin d’être usurpé. La route se transforme en un vrai torrent, charriant plusieurs mètres cubes d’eau à la seconde. Le chauffeur roule prudemment sans avoir trop le choix. Conserver son véhicule intact passe par une maîtrise et une prudence de tous les instants sur ce trajet qui est un vrai champ de nids de poules et de terre, plutôt qu’une route neuve, comme elle l’a été quelques années auparavant. Je ne sais pas comment nous ne prenons pas l’eau, comment la voiture reste intacte au vu des conditions. Pourtant, nous allons passer entre les gouttes qui s’espaceront de plus en plus, avant enfin de se stopper. Nous venons d’essuyer un orage tropical comme je n’en vois pas tous les jours.

Nous nous arrêtons en route pour prendre un petit-déjeuner. Je vais goûter pour la première fois au Foufou, qui est un type de pâte, pillé, fait à base d’igname bouillie, et non de Mil. Puis nous atteignons Kpalimé, en milieu de matinée, alors que le soleil pointe de nouveau le bout de son nez.  J’avais entendu parler de cette région comme une des plus touristiques du pays. Je vais très vite comprendre pourquoi. Cette ville majeure de la région des plateaux possède de nombreux atouts.
Sa situation géographique et son relief créent un climat très particulier et frais, une végétation luxuriante en résulte. Nous sommes ici dans les parties les plus hautes du Togo. Les nuages, formaient au-dessus de l’Atlantique, viennent se bloquer sur les hauteurs et arrosent donc particulièrement bien la région. Cette dernière est donc très propice à l’agriculture, de nombreux fruits et légumes y poussent. Depuis des centaines d’années des personnes se sont installés là pour profiter des atouts de la région. De nombreux artisans se sont implantés ici, y ont développés leurs arts : sculptures sur bois, batiks, broderie et tissage, objet en terre cuite,… Après mettre installé dans des chambres loués par un centre d’aide aux orphelins de la région,  je vais marcher en direction de la chaîne de rocher qui délimite la frontière avec le Ghana. Mon but est de découvrir le château de Viale. Lors de la traversée de la ville, après avoir plusieurs fois demandé mon chemin, je me fais interpeller par un jeune homme, Edouard, qui est assis à un petit stand de rue. Il me propose de goûter ce qu’il y a dans sa calebasse. Ici, ce n’est pas du Tchoukoutou, mais un alcool, dénommé Dé-ha,  qui est fait à base de jus de palmes fermentés. Ce dernier est assez frais et goutu. Voyant que j’aime ce breuvage, Il m’en paie  alors un pour moi. Edouard est fermier, auto entrepreneur, qui gère les terres de ces ancêtres. Il produit du riz, du maïs, mais aussi des fruits. La maison familiale est de l’autre côté de la route. Il m’invite à le suivre. Il m’offre un ananas entier, prédécoupé. C’est un régal tellement, ils sont juteux à souhait, après avoir été découpé de leur racine déjà mûre. Il prend ensuite sa moto pour me présenter à un ami, ce qui me rapproche du but de la visite. Quelques minutes à discuter avec Edouard, son ami et sa copine et me voilà déjà reparti sur les routes. Sur le chemin des manguiers me font cadeaux d’autant de mangues que j’en désire. Il me suffit de faire le tri entre les bonnes et celles qui pourrissent déjà, depuis longtemps, sur le bord de la route. Ces dernières sont fortement entamées par les verres et autres petites créatures rampantes. Continuant mon ascension, je découvre, de plus en plus, une vue imprenable sur la région. Je découvre ma première cascade alors que la région est censée en regorger. Sans demander quoi que ce soit, j’ai la chance d’être pris en stop par un automobiliste, un togolais, qui va voir sa famille, dans le village en bordure de frontière. Il me dépose au carrefour menant au château. Je rejoins très vite le parking où toute personne doit descendre afin d’entamer la montée vers ce bâtiment qui domine la région. Je me mêle à un groupe de lycéen qui vient de Lomé et découvre cet endroit dans le cadre de la semaine culturelle du pays. Tous les élèves m’accueillent  avec de grands «Yovo, Yovo, bonsoir, bonne arrivée! Yovo, yovooo» Nous allons passer de supers moments alors qu’ils veulent tous monter avec moi, bras dessus, bras dessous! Je vais lier un contact plus important avec Timothée, qui est un garçon, à la voix suave, très timide et pourtant le plus avenant d’entre-eux, et son ami Valdo, beaucoup plus extravagant. Après plus de trente minutes à marcher le long d’une route sinueuse, nous atteignons cette très belle demeure, dont la tour principale dépasse de la cime des plus grands arbres du haut de ce mont, nous réservant une vue imprenable sur toute la région, que ce soit la ville de Kpalimé, les champs à perte de vue, le lac Volta, plus grand lac artificiel au monde, qui se trouve au Ghana. Je vais multiplier les photos avec un grand nombre des élèves qui veulent un cliché avec moi. Nous nous éterniserons pas trop dans cette demeure et redescendrons par le même chemin emprunté à l’aller. De retour sur le parking, ils achètent en grande quantité des fruits et légumes, en particulier les avocats et ananas, produits dans la région. Ils sont donc beaucoup moins chers que dans la capitale, où ils habitent. Je vais avoir le droit de monter dans leur car, pour redescendre jusqu’en ville. Une fois encore les normes associées à ces moyens de transports sont loin d’être assurées. Dans un bus avec seulement 52 places assises, le chauffeur transporte plus de 130 élèves et leurs accompagnants. Ils sont à trois, voire quatre sur une banquette pour deux. Beaucoup seront aussi debout pendant tout le trajet. Cela dépasse l’entendement. Le seul aspect positif est que le conducteur est très prudent. Il ne mettra jamais, le long de cette route étroite et sinueuse, la vie des enfants en danger.

Il me dépose devant le centre artisanal de la ville que j’avais vu en venant, mais que je n’avais pas pris le temps de visiter. Ils continuent, quant à eux, la route directement jusqu’à Lomé. Le nombre d’objets d’art accumulés dans ce centre est incroyablement élevé. Je ne sais même plus où jeter mon dévolu, quelle pièce pourrait, peut-être, faire un très bon souvenir à ramener. L’endroit porte un certains cacher et il est visuellement intéressant. Pourtant cela ne me donne aucunement envie d’acheter une pièce qui semble produite en masse. Continuant à pied mon chemin, je vais retomber sur les petites boutiques vu lors du trajet allée. Je discute avec certains vendeurs qui continuent de créer des pièces devant leur devanture. Je vais rentrer dans une petite boutique de deux jeunes rastas. Je tombe immédiatement amoureux d’une peinture foncée avec quelques touches de couleurs harmonieusement réparties. Elle est tout en longueur. Elle laisse apparaître la silhouette d’une femme avec son bébé en bandoulière, portant une énorme bassine sur la tête. En toile de fond, il y a un habitat traditionnel et un coucher de soleil. Une fois de plus le coup de cœur pour ce tableau vient probablement de deux masques qui ornent toute la partie gauche de ce tableau. Je négocierais âprement pour obtenir un prix que j’estime juste. Je ne rechignerais pas sur le plaisir de tenir cette acquisition entre mes mains pour rentrer  au centre où je vais loger. Je n’avais pas eu la fièvre acheteuse lors des premiers mois de mon périple. En effet, le côté matérialiste s’était totalement effacé, au profit d’une vie réduite au vagabondage avec un simple sac-à-dos. Je ne pouvais pas envisager ce que je pourrais faire, dans plusieurs années, d’objets accumulés sur mon chemin. Pourtant le choix et les petites merveilles n’ont pas manqués. Ma philosophie n’a pas vraiment changé, mais évolue doucement. Je ne parle pas encore de retour pour m’installer, mais l’envie d’un tel projet est maintenant une certitude. Je me dis que quelques souvenirs, un simple objet qui pourra me rappeler une multitude de souvenirs, quand je rentrerais, ne seraient pas superflus… Je me laisse alors maintenant  tenter par quelques coups de cœur, après avoir évalué la facilité logistique de le transporter ou de le rapatrier chez mes parents!

La femme en charge de l’organisme des enfants démunis et orphelins, est une personne très agréable. Je reçois un bel accueil quand je rentre le soir. Nous allons prendre le temps de discuter concernant nos projets, ce qui nous rapproche le plus avec l’aide aux enfants de ce pays. Cette rencontre est une parfaite introduction à l’expérience que je m’apprête à vivre à Lomé. Je veux profiter encore quelques jours de cette magnifique région avant de descendre vers la capitale. Après un bon repas partagé avec elle et ces enfants, je file dormir dans un lit des plus confortable.
Je passe les deux jours suivants à explorer la région, à me promener dans les grands marchés de la ville, à marcher sur de petits chemins en terre ocre, partant de la ville pour se perdre dans la campagne environnante. Je fais de superbes rencontres. De nombreuses personnes curieuses de me voir marcher hors des sentiers battus m’interpellent et veulent discuter avec moi. Je vais m’amuser avec des enfants, rirent avec leurs parents. Plusieurs motos s’arrêteront à ma hauteur, alors que je marche, pour me proposer de m’avancer en me conduisant un peu plus loin. Je vais profiter d’un d’entre-eux pour me rapprocher du plus haut sommet du Togo. Il s’agit du pic d’Agou qui culmine à 988 mètres d’altitude. Je n’avais pas obligatoirement envisagé d’en atteindre son sommet. Mais puisque l’opportunité se présente, je la saisis. Après plus d’une heure d’ascension, sous un soleil de plomb, j’attends son sommet. Je n’ai pas réalisé un exploit, en atteignant cette hauteur modeste mais la vue est imprenable sur ces paysages magnifiques des alentours. D’un côté s’étend des plaines à perte de vue, où je ne sais pas vraiment où se délimite l’horizon, où commence le ciel et finit le ciel, et inversement. De l’autre côté, il y a cette chaine vallonnée, où je me trouvais la veille…

Il y a beaucoup d’autres visites à faire aux alentours dont les monastères bénédictins de Danyi, des cascades, d’autres sommets à escalader… Mais j’ai rendez-vous, le lundi 14 Avril, à Lomé, avec la directrice de l’orphelinat. Je n’ai pas envie de courir ici et là. Je préfère profiter de cette ambiance très relaxante qui règne dans la ville et les environs. Je passerais du temps à discuter avec les artistes, avec des petits commerçants, je flâne dans la campagne ou dans les rues de cette grande ville qui a pourtant le cachet d’un petit village! 
Le jour J est donc arrivé de débarquer à Lomé pour rencontrer la famille avec qui je suis en contact depuis quelques semaines. Elle doit m’accueillir dans une chambre privative. Je vais surtout commencer cette expérience qui me tient beaucoup à cœur. Etre volontaire pour une cause que j’estime juste était devenu un leitmotiv ces dernières semaines. La dernière expérience de cet acabit, beaucoup trop courte, au Cambodge, me semble à une éternité de ma réalité présente.  Travailler avec les enfants s’imposa, à moi, une nouvelle fois, comme la meilleure façon d’aider mon prochain. Le fait que cette expérience soit rendu possible commence après que j’eu exprimé ce désire lors de mon retour en France. Lors d’une soirée salsa, on me présenta à Laëtitia. Elle fait partie d’une association française, travaillant avec une structure togolaise. Elle a déjà fait deux séjours sur place et elle s’apprêtait, en janvier, à faire le troisième. Nous sommes restés en contact pendant tout son séjour lorsque je voyageais. Elle a essayé de trouver du travail sur place jusqu’à mi-mars. Elle voulait, cette fois-ci, rester de longs mois. Malheureusement, tout ne s’est pas passé comme elle l’aurait souhaité. Nous aurions dû partager la chambre qu’elle louait. A la place de cela, je vais prendre son relais. Elle a tout arrangée pour moi : la mise en contact avec la famille et avec la Sœur franciscaine, directrice de la pouponnière Sainte Claire; la plus veille du Togo! 

Arrivant à Lomé, je ne me rends pourtant pas directement chez la famille. J’ai un rendez-vous, avec un jeune, Désiré Kissodé, responsable d’un autre orphelinat. Je l’ai contacté par l’intermédiaire d’une responsable en charge des volontaires au Bénin. Un travail énorme doit encore être effectué pour aider les populations défavorisées, pour améliorer la vie de nombreuses personnes qui ne font que subsister,  pour prendre en charge les orphelins, pour tenter de leur donner un avenir meilleur… Pourtant tous ces liens entre organisations démontrent que de nombreuses actions sont mises en place pour faire avancer les choses, que des personnes veulent croire à un monde meilleur et donnent parfois tout leur temps pour une cause qu’elles estiment juste. Même si ce n’est jamais assez, même si ces petits gestes ne demandent qu’à être multiplié, il ne faut surtout pas baisser les bras. Je passe donc un très bon moment avec Désiré, à discuter de son projet, des structures et de ce que je pourrais apporter. Je ne lui fais aucune promesse concernant mes disponibilités. J’ai pris des engagements que je tiens à tenir vis-à-vis de la pouponnière. Pourtant, je sais déjà qu’après un crochet au Bénin, je reviendrais dans le pays… Peut-être que je viendrais aider pour son projet car malgré le peu de temps que j’aurais à lui accorder, il semble intéresser par toutes les personnes qui lui tendent la main… Nous allons garder contact avec les moyens modernes de communication, voir comment la situation évolue.

Après avoir pris un taxi moto, j’arrive chez la famille Ayedji! C’est un des fils qui m’accueille. Il se prénomme Kossivi (nom officiel de sa carte d’identité, Kossi qui veut dire dimanche en Ewé, jour où il est né, et le vi pour le diminutif «petit», car il est le deuxième de la famille à être né ce jour de la semaine) ou Rodolphe (nom catholique que les parents n’avaient pas le droit de donner officiellement quand il est né, ces règles gouvernementales ont depuis changées). Je vais très vite l’appeler par son diminutif, que tout le monde utilise; «Ro»!

Je fais la rencontre de tous les autres membres présent à la maison, ces deux parents, son grand-frère Alex, sa femme Greta, et leur fille de quelques semaines, Marielle, sa petite sœur Sylvia, ces petites nièces, Reine et Alice, filles d’une des grandes sœurs, Gloria, une petite cousine qui loge chez eux, «Nabou Nabou», une personne qui loue la chambre, adjacente à celle que je vais occuper, Grâce, la cousine qui tient son salon de coiffure dans un petit local avec pignon sur rue… Je n’aurais pas la chance de rencontrer sa sœur et son frère aîné qui vivent respectivement aux Etats-Unis et au Canada. Cela fait tout de même une grande fratrie se partageant un même lieu de vie.  Je suis très bien loti, avec une chambre privative, un matelas 2 places, au sol, protégé par une moustiquaire. Je peux fermer cette dernière à clé et elle donne sur une avant-chambre qui me servira de bureau, qui est aussileur débarras. 

Je vais immédiatement être mis dans l’ambiance de la vie familiale. Le dimanche matin, il me convie à aller à la messe. Ils sont très pratiquants. La foi a une place très importante aussi bien pour les parents que les enfants. Je découvre comment ils vivent la religion catholique dans le pays. Nous sommes à mille lieux de la désuétude dans laquelle se trouvent les centres religieux et la pratique en France. Ici les églises sont pleines, il y a des personnes de tout âge, dont beaucoup de jeunes, venant par choix.  Le midi, je pille le Foufou avec eux. Nous sommes trois personnes à écraser les ignames bouillies, par un mouvement bien rythmé, chacun notre tour, en ajoutant de temps à autre de l’eau. Le résultat est assez rapidement, sous les coups assenés des pilons, une sorte de pâte blanche, de consistance visqueuse. Nous la partagerons dans un plat commun, avec les mains après l’avoir badigeonner d’une sauce possédant des légumes, des épices et quelques bouts de poissons. Ma main droite n’a pas la même résistance à la chaleur que les leurs habitués depuis des années. Mangeant assez rapidement, ils m’en laissent un peu de côté pour que je puisse tout de même profiter de ce plat. L’après-midi, j’assiste à une des réunions de l’Association.  De nombreuses personnes vont arriver très en retard, comme ils le disent eux-mêmes, «à l’heure africaine»! Ils sont pourtant en pleine restructuration du bureau avec une élection à venir prochainement. L’ensemble des têtes dirigeantes étant absentes, cette réunion sera très vite avortée, que très peu d’enseignements en seront tirés. C’est incroyable la non-efficacité et la perte de temps que je constate, non pour la première fois, dans ce pays. Peu importe, pour moi, cela me permet de découvrir un autre aspect de la vie locale, ce dernier étant loin d’être quelque chose qui me conviendrait sur le long terme, si je devais vraiment m’impliquer dans la vie sur place. 

Rentrant à la maison, nous tombons sur une réunion de famille, avec les frères et sœurs des parents, qui semble beaucoup plus organisés. De nombreux sujets ont été abordés, des dossiers résolus, les aspects financiers bouclés. Il s’agit maintenant de profiter ensemble. L’accueil de leur part est exceptionnel. Ils vont très vite me proposer une chaise et le partage d’une boisson locale revigorante. C’est le Sodabi, de l’alcool de palme distillé, que l’on laisse fermentés avec des herbes et autres fruits, pour obtenir une eau de vie puissante et assez goutu. Les quelques shooter de ce breuvage ne me mettront pas à terre, mais me donneront un petit coup dans le nez. Heureusement, que je refuse poliment l’offre d’un oncle qui me proposait de faire un concours. Je partais d’avance perdant et je n’aime pas vraiment ce type de jeu. En revanche, je me délecte de vivre une telle journée à leur côté. 

Lundi matin, Rodolphe me prend en charge pour toutes les démarches que j’ai besoin de réaliser. La première d’entre-elles est le rendez-vous, à la pouponnière, avec Sœur Aimée qui est la directrice du l’orphelinat. A mon arrivée, la surprise est grande. La sœur n’est pas là. C’est la secrétaire, Novice de l’ordre Saint-François d’Assise, en formation, qui me reçoit. Montre en main, l’entretien durera 30 secondes. Elle me dit que la sœur s’excuse de son absence mais qu’elle est en déplacement. J’ai pourtant son aval pour commencer dès le lendemain matin. Je suis ravi de la nouvelle mais très surpris. Ce cas de figure, même pour du volontariat, aurait été impossible dans notre douce France. Heureusement que le déplacement n’était pas à des centaines de kilomètres. Question de culture oblige et peut être de confiance, car j’ai été recommandé par une amie. Nous discutons tout de même quelques minutes de plus, puis je suis libre pour le reste de la journée. Nous profitons d’être beaucoup plus proche du centre-ville pour faire d’autres démarches.

Je me rends en premier lieu à l’ambassade du Ghana pour avoir l’ensemble des informations concernant l’obtention du visa. L’obtention est beaucoup plus compliquée que pour les pays francophones. Je ne le savais pas, et hasard du calendrier oblige. Peut-être  que le fait de travailler comme volontaire, sera ma seule façon d’obtenir le visa depuis le Togo. En effet, la femme qui me reçoit, en même temps qu’un allemand, nous affirme que nous devons avoir une lettre d’un organisme disant que nous travaillons dans le pays. Sans ce précieux papier, elle nous dit que nous aurions dû faire notre visa depuis notre pays. C’était impossible pour moi, au vu de ma situation et du fait que je voyage de nombreux mois. En effet, ce visa ne sera valable que 1 mois, à sa date d’émission, et il faut plus de 72h00 pour l’obtenir. Quoi qu’il en soit, j’ai maintenant les informations. J’espère que je n’aurais aucune difficulté à l’avoir quand je le demanderais finalement dans plusieurs semaines. Nous allons prendre ensuite les informations pour le trajet que j’effectuerais auparavant dans un autre pays. En effet, dans 15 jours, Antho débarque au Bénin, avec un groupe de para-motoristes. Je vais le retrouver à Cotonou pour un séjour, avec eux, de 10 jours. Pas d’horaire fixe pour ces départs en taxi collectif. Il me faudra arriver sur place, le jour J et espérer que d’autres personnes voudront se rendre au même endroit, au même moment. 

Nous profitons de tous ces déplacements pour que je puisse voir la mer, que dis-je l’Océan! Les plages de la capitale sont superbes, très large, et bien entretenus. J’adore cette vision avec les palmiers qui bordent la voie routière tout au long du littoral. Toute la côté n’est pourtant pas favorable au tourisme balnéaire car, soi-disant, la barre de corail crée très souvent de dangereux rouleaux qui viennent se fracasser en vague puissante sur la plage. Je demande à «Ro» de descendre sur la plage et d’y rester un peu de temps, voyant que lui ne montre pas un grand intérêt pour ce lieu. Cela est incompréhensible pour moi. Je sais pourquoi j’ai aimé habiter les 3 dernières années, où j’exerçais une activité professionnelle, en bord de mer. J’aime ce milieu où les espaces sont infinis, où la mer invite à l’aventure. Cela me ressource d’avoir atteint la bordure de ce continent et de voir l’océan Atlantique. L’eau est très chaude. Elle doit allégrement dépasser les 25°C. L’océan contrairement à sa réputation est aujourd’hui très calme. Seules de petites vaguelettes viennent, en douceur, caresser le sable jaune. Je prends plaisir à admirer les grandes embarcations en bois des pêcheurs, de voir l’une d’entre-elles naviguait grâce à une dizaine d’hommes qui pagaient. Au loin, de nombreux navires marchands attendent à l’ancre, avant de rentrer dans le port. Je ne vais pas faire attendre Ro trop longtemps alors qu’il est resté près de son scooter. 

En le rejoignant, je lui demande, tout de même, si nous pouvons aller au grand marché. Ma demande tombe à point nommée. Nous sommes à moins de 300 mètres du début de ce dernier. Nous garons le scooter dans un endroit, où un gardien veillera, avec grande attention, sur ce moyen de locomotion très important pour mon hôte. Nous partons explorer les nombreuses ruelles qui composent ce marché gigantesque de plusieurs hectares. J’aime ces lieux où l’activité est intense. Les allées et venues sont innombrables. Des centaines, sûrement des milliers, de petits magasins, d’échoppes, de marchands ambulants vendent tous les produits possibles et imaginables dans le pays. Il y a des pagnes, des vêtements, des objets traditionnels, des ustensiles de cuisines, des meubles, des produits d’entretien, d’autres d’intérieur, des produits de beauté et de maquillages, de la nourriture, des boissons, du matériel électronique, des jeux pour enfants, des objets de décoration… Une vraie fourmilière me fait face où certains ravitaillent les magasins, d’autres personnes vendent, beaucoup achètent pour leur propre consommation ou pour revendre dans d’autres localités. Je n’ai jamais vu une telle concentration de biens de consommation depuis très longtemps. J’aime déambuler dans toutes ces ruelles du marché.  Je suis aussi ravi aussi, après de longues minutes, de pouvoir m’extirper de cette ambiance pesante. Le regroupement de personnes, de vendeurs, d’objets à vendre, peut très vite devenir oppressant. Nous reprendrons donc le scooter. Après avoir échanger de l’argent dans une banque, nous reprenons le chemin de sa maison familiale à Avedji. 

Rentrant en fin de matinée, je vais pouvoir assister à la cuisine faite par sa petite sœur Sylvia. Elle prépare un repas que je n’ai jamais eu encore la chance de goûter. Il s’agit du Tchemcoumé (Ma connaissance du dialecte Ewé étant encore très approximatif, voire inexistant, je ne suis pas sûre de l’écriture de ce plat. Il s’agit ici d’une simple transcription de ce que j’entends et que j’appose sur le papier avec mon oreille qui a pour langue maternelle le français). Ce dernier est encore une pâte de farine de maïs mais contrairement à la préparation traditionnelle, ce dernier est directement cuit dans une sauce avec du concentré de tomates, des oignons, de l’huile, du piment. Ce plat revêt donc une couleur rougeâtre. Il se mange seul sans avoir besoin de l’accompagner d’une sauce à côté. C’est un vrai plaisir de déguster cette spécialité très agréable à mon goût. La suite de l’après-midi s’articule autour de discussions avec la famille, d’une cession internet dans un cyber-café, et de mon premier footing depuis mon départ d’Ouagadougou. Le thermomètre n’affiche que 32°C. Ayant totalement confiance en mes hôtes, j’ai pu laisser toutes mes affaires dans ma chambre. Je suis totalement libre de mouvement et je vais avoir une sensation de vitesse pendant 1h00 que je n’avais pas eu depuis le retour en France. Ma préparation, lors de la semaine passée dans la capitale du Burkina Faso, alors qu’il faisait encore plus de 40°C, quand j’allais courir en fin d’après-midi, n’y est pas étrangère. J’aime avoir le sentiment de retrouver l’intégralité de mes moyens. Je ne les avais pas perdus. Les conditions sont seulement un peu extrêmes. En plus, je manquais d’entraînement auparavant. Cette troisième journée, ce week-end prolongé, dans la capitale, ceux sont magnifiquement déroulés. Ils laissent inaugurer 2 très bonnes semaines à venir.
 
Mardi matin, 15 avril 2014, 6h30, je quitte le quartier Limousine-Avedji dans un bus bondé. Les places assises ont toute été prises d’assauts alors que je suis au terminus du bus, ou dans notre cas, point de départ du trajet qui mène vers le centre-ville. Je suis dans le sens du flux de la majorité des travailleurs. J’aurais le droit chaque jour à cette affluence massive de banlieusards allant travailler dans les entreprises et bureaux du centre. Après une demi-heure de trajet, je descends à un des arrêts qui se trouve dans le quartier Tokoin. Je dois marcher une dizaine de minutes avant d’atteindre la pouponnière du séminaire Sainte Claire. Je retrouverais sans problème le chemin jusqu’à mon lieu de travail. J’ai hâte de commencer.
Après un accueil par la secrétaire, après que l’on met remis une blouse, je fais la connaissance «des Grands». Ils ont entre 15 mois et 4 ans ½. Un point important, ils savent déjà tous marché ce qui n’est pas le cas pour les «Moyens» et les «Petits». Il y a tout de même une exception. Laundry qui est tétraplégique, très fortement handicapé. Il ne peut pas se servir de ces quatre membres actuellement. Il faut espérer que la rééducation prévue, les exercices lui permettront d’obtenir une indépendance suffisante pour améliorer son quotidien. 

Quoi qu’il en soit, ils sont à la cantine, prenant leur petit-déjeuner, qui consiste en plusieurs verres de bouillie «énergétique». Aucun des enfants ne va avoir peur de moi, d’un «Yovo», ou blanc. Ils ont été habitués à en côtoyer dès leur plus jeune âge, en raison de nombreux autres volontaires européens qui sont passés avant moi dans ces murs. L’accueil est même chaleureux. Aidés par les «Mamans», qui sont les employés de la pouponnière, ils me chanteront même une chanson. Nous sommes tous, autant les uns que les autres, intimidés par la situation mais apparemment heureux de la rencontre. La salle est très animée. Les enfants boivent leur breuvage du matin, certains en renverse plus par terre qu’ils n’en consomment. D’autres se chahutent, d’autres pleurent, certains sont très sages et restent muet après avoir finis de boire leur bouillie. 
Nous passons ensuite directement dans la pièce adjacente, beaucoup plus exigüe, qui est la salle de change. Je vais déshabiller les enfants les uns après les autres, les «Mamans» enlèvent les couches puis nous les mettons sur les petits pots. Ils y resteront plusieurs minutes. Etrangement, ils sont très sages à ce moment-là. Un par un, les employées prennent ensuite les enfants, les badigeonnent de talc pour enfant, avant de remettre une nouvelle couche qui est un petit pagne absorbant, attaché avec tissu plastifié. Les pagnes sont lavés après chaque utilisation. Les couches, que nous connaissons en Europe, sont beaucoup trop chères pour être utilisées. Surtout que les enfants changent, au moins, 4 fois par jour de couche. Une fois les enfants changés, ils peuvent se rendre dans la salle de jeux. 

Dans cette salle, ils ont à leur disposition des lego de différentes tailles, des jouets éducatifs, des poupées et quelques livres. Très vite, la salle qui était organisé en plusieurs ateliers devient un capharnaüm où tous les objets sont mélangés. Les enfants à cet âge aiment beaucoup le transvasement, le fait de remplir un contenant avant de le vider. Il y a donc des plateaux, ou saladier à leur disposition pour qu’ils puissent effectuer cette démarche. Il est intéressant de voir que l’assemblage des lego n’est pas encore une évidence pour tous. Certains par exemple ont compris le principe. Mais ils forcent pour essayer d’emboiter deux lego entre-eux alors qu’il ne s’agit pas de lego de la même taille, ou qu’ils n’ont pas mis les trous en correspondance les uns devant les autres. D’autres viennent prendre, dans les mains des autres, des objets qui convoitent. Cela entraîne des bagarres, des courses poursuites ou des pleurs, pouvant presque atteindre la crise… Il faut alors intervenir pour rétablir l’ordre. L’enfant, qui s’est vu dérobé son objet, est toujours très content de le retrouver. Il s’arrête immédiatement de pleurer. L’autre enfant qui ne comprend pas pourquoi il n’a pas le droit à cet objet rentre souvent dans une crise furieuse. 

Non, je ne vous dépeints pas un tableau noir, où les enfants sont de vrais monstres. Il s’agit seulement de la réalité de la vie en communauté pour des jeunes de cet âge qui apprennent doucement certaines règles de la vie. La majorité d’entre-eux est calme. Ils jouent seul ou à plusieurs. Ils sont très contents quand je me mets à leur niveau et que je joue avec eux. Ils aiment quand je peux leur apprendre quelque chose, leur chanter une chanson, quand je peux jouer avec eux «bateau sur l’eau…. Et tout le monde tombe à l’eau!» par exemple. Les enfants rigolent quand je les fais sauter dans mes bras, quand je les chatouille, quand  je leur fais de petites surprises en me cachant derrière un fauteuil. 

Une fois cette activité finie, nous sortons dehors avec eux. Ce matin, nous nous rendons sous un préau où est rassemblé un grand nombre de jouets plus gros, d’extérieurs. Il y a des poussettes, de petits vélos, des voitures plastiques assez grandes pour les recevoir, d’autres plus petites seulement utilisables pour les pousser, des ballons, des jeux éducatifs tels que des boules à déplacer le long d’une tige, des contenants où il faut mettre la bonne forme dans son réceptacle. Les enfants sont heureux. Certains poussent un ou plusieurs de leur compagnon dans les véhicules misent à leur disposition, d’autres jouent à la maman, au papa. Des enfants aiment bien porter des choses d’un lieu à un autre. Pour d’autres, le fait de posséder quelque chose pendant quelques minutes leur suffit. Ils le gardent précieusement. Une chose important qu’il faut savoir à cet âge. Quelques soit l’intérêt qu’ils portent pour une personne, un événement, une chose, après quelques minutes à peine l’effet retombe. Ils ont besoin rapidement de passer à une autre activité. Ils ne peuvent pas rester concentrés sur la même activité trop longtemps. Ce qui était le plus important au monde, voilà à peine quelques secondes, est maintenant un simple objet sur lequel ils ne prêtent plus aucune attention. Même si vous voulez faire des activités pédagogiques le paramètre temporel est donc indispensable à prendre en compte.  Certains enfants, les plus calmes, peuvent en revanche rester assis sur un petit banc pendant une heure sans bouger, ou presque, sans broncher. Ils sucent assez souvent leur pouce, paraissent totalement perdus dans leurs pensées, secouent assez souvent la tête d’avant en arrière. Nous leur servirons un verre d’eau citronné à chacun.

A 10h00, il est déjà l’heure de regagner la salle de restauration pour le déjeuner. Nous commençons par leur laver les mains. Une personne verse le savon javellisé, pendant qu’un autre frotte les mains de l’enfant. Le premier verse ensuite de l’eau avant qu’une troisième personne ne leur essuie les mains. Ils sont fin prêt pour manger! Au menu ce midi, il s’agit d’une purée de légume, de pain, d’un jus d’ananas et d’une banane pour le désert. Les plus grands d’entre-eux mangent quasiment tout seul. Nous leur mettons des bavoirs et les laissons se débrouiller. Pour les plus petits d’entre-eux, nous leur donnons à la cuillère. Chaque personne prend 2 ou 3 enfants à sa charge et se débrouille comme il l’entend, ou comme il le peut. En effet, parfois certains enfants ne veulent pas manger tout de suite, d’autres sont un peu plus difficile. Certains en mettent partout, quelques-uns jouent avec leur nourriture, d’autres font des simagrées. 2 ou 3 enfants sont malades. Ils ne vont donc presque rien manger, ou d’autres vomiront tout ce qu’ils venaient de manger. Certains sont beaucoup plus adroits, agiles avec leur doigts et leur bouche. Ils mangent déjà proprement et prennent parfois l’initiative de mettre, seul, la cuillère à leur bouche alors que je donne à manger à l’autre enfant dont je m’occupe. Le plus flagrant concerne le fait de boire la boisson. Certains trop pressé, aimant trop le sucré, se renversent plus de la moitié du verre sur le tee-shirt et les genoux… En règle générale, les enfants ont bon appétit mais si vous tombez sur celui qui a décidé de ne pas manger, ou de jouer avec vous, le temps du repas peut-être long. 

Une fois terminé, il est déjà temps de gagner la salle de change. Une fois de plus, nous les déshabillons, elles leur enlèvent leur couche et leur en mettent une nouvelle. Puis je leur mets un short avant qu’ils montent dans leur chambre. Voilà déjà le temps qu’ils rejoignent leur lit pour faire la sieste. Le temps que tout le monde soit prêt, il est 11h30 passé, parfois il sera même midi. Nous ne reprenons qu’à 14h30, alors qu’une autre maman prend le relais pendant notre absence. Je trouve une petite gargote,  fréquentée par de nombreux togolais. Je ne sais pas si cela sera gage de qualité et de bon goût mais les plats semblent très appétissants, les odeurs qui émanent de sa «cuisine» sont un bonheur pour mon sens olfactif. Il y a du choix. Je ne serais pas déçu par celui que je fais: simple mais efficace; riz blanc, haricots, un peu de pâte et un mixte de deux sauces pimentées. Je sais déjà que je reviendrais à cette adresse les midis suivants quand je n’aurais pas d’autres choses de prévu. Je trouve un petit caramel à acheter pour terminer mon repas par un goût sucré. Bien évidemment, je prends aussi des sachets d’eau à «25-25» (25 francs CFA ou moins de 4 centimes d’euros) contenant 500ml pour me désaltérer. Malgré cette longue pause, le temps passe trop vite. Je rentre un peu avant l’heure prévu à la pouponnière. Une des  Mamans qui s’occupe de la période de transition, les prépare. Elle a commencé de nouveau à les changer, leur mettre une nouvelle couche, et les habiller. Les petits garçons ont pantalon, ou short et tee-shirt tandis que les petites filles mettent une petite culotte sur leur couche et elles revêtent de belles robes. Ils descendent ensuite tous ensemble pour aller jouer sous le préau.    

Là encore le comportement de chaque enfant est différent. Selon leur humeur, selon s’ils ont fait une bonne sieste ou non, ils peuvent réagir différemment par rapport à ce que j’avais pu constater le matin. Pourtant je peux déjà cerner certains traits de caractères. Certains sont plus calmes, d’autres plus dynamiques, certains plus fourbes, d’autres plus débrouillards… Alors qu’un autre est plus susceptible. Certains sont très indépendants, d’autres ont besoin de beaucoup d’affection et de tendresse. Très rapidement je crée avec chacun une relation différente. J’essaierai de ne pas trop faire de favoritisme, de ne pas passer trop de temps avec l’un plutôt que l’autre. C’est pourtant humain d’avoir plus d’affinité avec un des enfants plutôt qu’avec un autre. C’est toujours plus facile de t’entendre avec des enfants qui ont des similitudes avec toi et avec qui tu aimes les mêmes choses. 

Ils font partie du même groupe, avec des besoins similaires, pourtant ils commencent à avoir, à mes yeux, leur propre identité. L’apprentissage de leur prénom participe aussi à ce processus. Il y a 15 enfants, 4 filles et 11 garçons.  Je vais très vite les reconnaître et associer un nom à un visage: Alexandra, Ida, Agnès, Gloria, Ange, Jules, Rémy, Alexis, Jean-Baptiste, Jérôme, Antoine, Joseph, Kokou Gaston, Daniel, et Benoit. Ils sont tous très attachants. 

 Après avoir joués dans le bac-à-sable, principalement à des jeux de transvasement, la cloche sonne à 16h30. Il est temps de ranger les jeux et de se diriger vers la cantine. Voici venu le temps du dernier repas. Comme chaque fois, après s’être lavés les mains, les mamans font le signe de croix et disent une prière pour bénir la nourriture que l’on va leur donner. Encore une fois, ils ont le droit à une purée de légume accompagnée d’un petit bout de viande. Je m’occupe de deux enfants différents. Le repas se passe plutôt bien. A 17h20, nous les montons à l’étage. L’épreuve des escaliers est intéressante. Certains enfants n’ont aucun problème à gravir les marches une à une, debout, en se tenant à la balustrade, certains montent à quatre pattes. Enfin pour les plus petits ou les moins dégourdis, il faut les aider un par un. C’est l’heure de la douche avant d’aller au lit pour la nuit. 

Ma première journée fut très bonne mais assez éprouvante. Contrairement à ce que l’on pourrait croire ce n’est pas de tout repos de s’occuper d’enfants.  Ne connaissant pas à quelle heure part le dernier bus Sotral, pour rentrer chez les Ayedji, je décide de quitter la pouponnière à 17h30. Les mamans dont Elisabeth, Sabine, sœur Marie, me remercient chaleureusement. Je suis ravie de travailler dans cette structure, le plus vielle orphelinat du Togo, crée en 1949. Ce qui m’aura frappé, ceux sont les conditions très bonnes dans lesquelles vivent les enfants. Ils semblent très heureux, sont bien traités. Ils reçoivent de bonnes bases pour réussir dans la vie. J’espère qu’ils seront admis dans une famille d’accueil qui pourra prendre aussi bien soin d’eux. Je suis vraiment heureux de les retrouver dès le lendemain matin. 

J’ai la chance d’attraper un bus quelques secondes après être arrivé à l’arrêt. Plusieurs personnes m’interpellent. Elles sont très surprises de me voir prendre ce moyen de transport en commun. Je leur explique ma situation. Je vais les surprendre, les faire rire quand je leur énumérerais, dans une liste non exhaustive, tout ce que j’ai goûté comme spécialités locales (la pâte, le Foufou, le Tchoukoutou, le Dé ha). Le fait que je parle déjà quelques mots d’Ewé et de Mina, seulement quelques jours après mon arrivée au Togo, permet un contact encore plus proche. Ils me disent que je ne suis déjà plus un «blanc» mais un togolais. Nous passerons un bon moment. Je n’arrive pas trop tard chez «Ro» où nous mangeons la pâte avec une sauce à base de noix de palme. Puis, comme ils le font très régulièrement, nous allons discuter sur le trottoir devant la porte de sa maison avec les voisins, dont Rachid et sa sœur Aïda, que j’aime déjà beaucoup.
Le deuxième jour à la pouponnière est très similaire au premier. Les jours suivants suivront la même dynamique. Les enfants ont besoin de repères, et d’un rythme régulier. A cet âge, les besoins sont primaires; dormir, manger et boire, et jouer. Pourtant ils développent grandement des facultés indispensables pour la suite de leur vie. Des petites variantes d’un jour sur l’autre, me concernant, casse ces habitudes. Cela fait bien longtemps que je n’avais pas suivi un rythme «de travail», dans ce cas de volontariat, si précis et ordonné. Je vais, l’espace de quelques semaines, redécouvrir la vie avec 5 jours de travail et un week-end de deux jours. Je n’y vais pourtant pas à reculons, bien au contraire. J’ai vraiment envie d’aider ces enfants. Ils vont me le rendre au centuple. Cela commence dès ce mercredi matin, quand ils m’accueillent tous en me disant un grand bonjour. Certains m’appellent déjà «Papa». Je peux voir qu’ils se rappellent de moi. Ils me touchent par ce qu’ils dégagent, du fait que tous leurs actes soient effectués sans arrière-pensées, avec l’insouciance de la jeunesse, et ce qu’ils sont. Après le repas, le change, le temps dans la salle de jeux, nous ne partirons pas sous le préau. Avec une maman que je n’avais pas encore vue, nous allons nous promener en dehors de l’enceinte de la pouponnière et du séminaire. Nous allons faire le tour de l’église qui se trouve, à côté, après avoir traversé la cour d’une école primaire. Je suis surpris de voir que la majorité des enfants adore marché. Ils ne rechignent pas du tout à cet effort, bien au contraire. Ils y sont sûrement habitués depuis longtemps. Une fois finie, nous rentrons pour le déjeuner. Il s’agit cette fois-ci de pâte de maïs, avec une sauce aux légumes verts. 

Un lien très fort, c’est tout de suite créé avec Alexandra. Cette petite fille est dynamique, enjouée, calme, un peu chenapan, tout de même. Elle a un besoin d’affection qu’elle a su tout de suite me faire ressentir. Elle aime être dans mes bras, que je joue avec elle. Je ne peux pas rester indifférent à cette affection qu’elle me donne, à cet attachement rapide qui s’est créé entre nous.

Pour les garçons, mais aussi pour les filles, c’est important aussi d’avoir un homme qui s’occupe d’eux. En effet, ils sont normalement entourés que de mamans qui prennent soins d’eux d’une façon remarquable mais le rapport ne peut pas être le même avec un homme adulte. C’est intéressant de constater le rapport de force que certains installent tout de suite. Alexis par exemple est un petit garçon qui peut être adorable. Mais il est facile de constater qu’à un peu plus de 2 ans, ils n’aiment déjà pas les ordres,  le fait d’obéir aux autres.  Je dois parfois néanmoins devoir sévir. En effet, ils marchent sur les plates-bandes des autres enfants, les privant de libertés auxquelles ils ont aussi le droit. Dans l’intérêt du groupe, ou de son propre intérêt, il faut parfois le canaliser. Quand il ne m’écoute pas alors qu’il s’apprête à sortir de l’enceinte de la pouponnière et quand j’arrive pour le chercher, il s’enfuit en courant vers l’extérieur. Je le rattrape une première fois et je tente de lui expliquer qu’il ne peut pas faire cela. Pourtant quelques minutes plus tard, il recommence son petit manège et s’apprête à ressortir. Je l’attrape alors rapidement et je lui mets une petite fessée. Ce dernier pleure et se roule par terre. Même si je n’aime pas punir ou donner des fessées cela va avoir deux effets bénéfiques. Premièrement, il ne recommence pas à essayer de sortir pour le reste de la journée. Ensuite, quelques minutes, plus tard, il viendra vers moi. Nous allons passer un très bon moment à jouer.  Ces enfants ont besoin d’être cadrés. Ils sont dans une période, où ils commencent à tester les limites, leurs limites et celles de la société, pour voir ce qu’ils sont capables de faire, les conséquences que cela aura avec les autres. C’est intéressant de voir que le fait de punir un enfant, va finalement nous rapprocher comme nous ne l’avions jamais été. 

Le midi je ne mange que des bananes et une noix de coco, avant de passer 2h00 sur internet, notamment à échanger avec Antho. La journée passe trop vite. Avant 18h00, il est déjà temps de quitter ces «petits monstres» tellement attendrissants. Les soirées s’égrènent aussi vite que les journées. Je ne fais pas grands choses d’autres que de discuter un peu avec la famille, manger la pâte qui est le plat unique du dîner pour cette famille. Ils disent que c’est bon d’avoir un plat nourrissant pour bien dormir et avoir assez d’énergie jusqu’au lendemain (comme quoi les croyances sont vraiment différentes selon les endroits où l’on vit. En France il a toujours été conseillé de manger léger le soir pour mieux digérer et que cela ne pèse pas sur le ventre avant d’aller se coucher).Heureusement, la sauce qui l’accompagne change chaque soir! 

Aucun intérêt que je m’étende une nouvelle fois sur le déroulement de la journée type que je vais vivre à la pouponnière, le troisième jour. Les horaires sont quotidiennement respecter autant que faire se peut. Les enfants évoluent dans le même périmètre. En revanche notre relation évolue. Par exemple, avec Ange, qui est un garçon très débrouillard, qui aime bouger et courir, qui comprend très vite ce qu’on lui demande et s’exécute immédiatement, une relation forte se crée après sa retenue des premiers jours. Il n’arrête pas de me dire «Papa, papa, papa». Ils essaient de me montrer pleins de choses qui l’intéressent, ou l’interpellent. Il veut parfois mon aval avant de faire certaines actions. Il recherche lui aussi de l’affection. Cela me touche obligatoirement, étant une personne qui a aussi besoin de cette reconnaissance, de cette affection de la personne avec qui je partage mon temps. Les rapports évoluent assez vite  à cet âge. Je verrais comment ils se comportent dans les prochains jours. 

Le midi, je rencontre finalement Sœur Aimée, rentrée de mission. Elle est, comme je l’avais précisé ultérieurement, la directrice de la pouponnière. Elle a une formation d’infirmière et de gérante administrative et de direction. Ce poste lui a donc logiquement été attribué. Nous allons faire un entretien d’une trentaine de minute. Ce dernier se passe dans la plus grande décontraction mais l’échange et les questions sont beaucoup plus professionnels. Elle m’invite finalement à manger, avec elle, dans la communauté. Nous rejoignons trois autres sœurs déjà attablées (elles sont 15 au total dans leur communauté).  C’est un vrai festin qui m’est proposé. Je n’ai jamais eu accès à une telle qualité de repas, une telle quantité de plats, depuis plus de 2 mois et demi. Nous avons le droit à une salade composée, en entrée; salade, tomate, concombre, maïs, haricot vert. Puis il y a du poisson avec des épinards, de la viande, de la semoule au beurre, une sauce à la tomate et aux légumes et l’Akpain, que je n’ai encore jamais goûté. C’est une pâte obtenue aussi avec de la farine de maïs, mais qui est moulue beaucoup plus finement. Elle est cuite dans des feuilles de palmier. C’est très bon, plus goutu. Sœur Aimée me propose ensuite une boisson gazeuse sucrée. En désert, nous avons le choix avec de nombreux fruits. C’est tellement agréable de pouvoir remanger en quantité des fruits et légumes, pas si fréquent que cela à trouver. Surtout que les familles, que j’ai côtoyées, n’en mangent presque jamais. Plus que le contenu qui se trouve dans mon assiette  et le fait que je me régale, je retiendrais cet échange, dans la bonne humeur avec les sœurs. C’est un plaisir que de pouvoir partager mon repas avec des personnes enjouées, qui connaissent la chance qu’elles ont et en profitent pleinement. J’aime partager mon repas, plutôt que de manger seul, comme ce fut le cas les deux premiers jours. Les discussions sont, qui plus est, très intéressantes. Sœur Aimée m’invitera à revenir les jours suivants. 

L’après-midi se passera encore très bien. Nous accentuerons les activités autour des balançoires et autres jeux, vraiment à l’air libre, sous un soleil pas trop fort car caché par quelques nuages! A 16h30, la cloche retentit. Il est temps de rentrer pour le dîner. C’est un plaisir de donner à manger à 2 ou 3 enfants. Certains nécessitent simplement une petite surveillance mais ils se débrouillent normalement seuls. Pourtant parfois, et ça sera le cas pour Ida en cette début de soirée, ils ont envie que nous nous occupions d’eux. Elle ne mangera presque rien jusqu’à ce que je commence à l’aider. Pour la majorité, ils ne sont pas encore autonomes du tout. Il est donc nécessaire de leur donner la béqueter bouchée par bouchée. Pour certaines, ce travail se révélera plus fastidieux que pour d’autres. Quoi qu’il en soit, c’est toujours un plaisir de pouvoir leur procurer de la bonne nourriture en espérant qu’ils grandiront bien. Une fois encore, je les montes jusqu’à la salle où ils vont prendre leur douche. Je ne pourrais pas les accompagner jusqu’à ce qu’ils se couchent. Je ne tiens pas à rater le bus qui me ramènera à bon port… Je les salue avec un grand sourire! 

Le  vendredi 18 va avoir un parfum particulier dans différentes domaines. Tout d’abord l’accueil des enfants est très agréable. Beaucoup m’appellent «Papa». Les plus grands se souviennent même de mon prénom. Cela fait seulement quelques jours que je les côtoie mais un lien fort nous unis déjà. La matinée passe très vite. A la place de la traditionnelle heure de jeu dans la salle prévue à cet effet, les enfants se font tondre les cheveux par un coiffeur, à l’aide d’une tondeuse électrique. Seules les petites filles qui ont les cheveux longs et des tresses sont épargnées de cette étape. Certains des enfants n’apprécient vraiment pas le «jeu». Avec la «Maman» Brigitte, nous allons ensuite les promener. Le tour de l’église est parfait. Je suis encore une fois surpris avec quelle aisance, la majorité des enfants marche. 

Après la sieste du début d’après-midi, faite à l’extérieur allongé sur un banc, des vents violents, accompagnés d’une grosse averse, s’abattent sur la pouponnière. Il est donc impensable de sortir les enfants sous le préau. La sœur, qui s’occupe habituellement de la salle de jeux et de la pratique d’activités ludiques et éducatives, n’étant pas présente, je vais prendre le relais. J’organise, en début d’après-midi, plusieurs d’entre-elles. La pluie s’arrête finalement assez vite. Une visite inattendue va alors changer le cours de l’après-midi. Une des «Maman» me demande de sortir rapidement car ils ont besoin d’aide. Un nombre impressionnant de personnes se trouve à l’extérieur. Ils sont presque tous en uniforme. Ils déchargent des cartons d’un camion militaire. En leur donnant un coup de main, pour transférer tous ces dons, je vais en apprendre un peu plus. Nous discutons en anglais. Il s’agit de soldat de la marine Turque. Ils patrouillent, presque 100 jours, sur les bords du continent Africain. Ils sont partis de leur pays. Ils s’apprêtent à descendre la côte ouest du continent. Ils associent cette mission pacifique, pour apporter de l’aide humanitaire, cette fois-ci, auprès d’orphelinat de différents pays. Nous déchargeons plus de 100 cartons, de plus de 20 kilogrammes chacun, avec des denrées alimentaires, plus des sacs-à-dos et autres jeux. Tout est destiné aux enfants de l’orphelinat. Les mamans sortent avec les grands. Elles entonnent des chansons de remerciements. Différentes prises de vue seront faites avec les enfants dans les bras des militaires et des représentants administratives togolais. L’événement est couvert par la télévision et les photographes militaires. La plupart des enfants sont intimidés et ne réagiront pas comme ils le sont habituellement dans la pouponnière. Mais cela n’est pas étonnant au vu de la situation. Ces militaires repartiront comme ils sont venus en coup de vent, à l’improviste, ne laissant que cette centaine de cartons dans la cour. Avec deux autres employés de l’orphelinat; le gardien et l’intendant, nous allons rentrer ces cartons dans la réserve de la pouponnière à l’aide de brouettes. Le travail est assez harassant, au vu de la chaleur humide qui règne en ce milieu d’après-midi. Nous arriverons néanmoins à tout rentrer, avant qu’une possible averse menaçante ne s’abatte encore sur les jardins du séminaire de Tokoin. Malgré tout ce remue-ménage. Nous allons faire manger les enfants un peu plus tôt que d’habitude. Cela va être très positif pour ma part. En effet, je vais pouvoir assister à la douche chaude prise dans une baignoire. Les enfants, en grande majorité, n’apprécient guère ce rituel de se laver, le fait de se prendre des seaux d’eau sur l’ensemble du corps. Beaucoup pleurs, d’autres ne font que de grosses grimaces. Ils sont très ravis quand arrive l’étape du séchage. Les Mamans me la confient. J’aurais donc, non pas la tâche ingrate, mais plutôt très agréable. Je peux jouer facilement avec les enfants, les faire rires, avant de les emmener dans leur lit pour la nuit.  Ce superbe moment va être suivi d’un gros pincement au cœur pour ma part. J’aime vraiment ces enfants. Cela me rend déjà triste de les quitter pour le week-end. Je n’ose pas imaginer comment ça sera venu le temps des adieux. Mais je ne préfère pas y penser encore. En sortant de la pouponnière, pendant le trajet à pied, puis en bus, je garde tous les belles images de la semaine passée à leurs côtés. Je sais que je les revois dans 3 jours!

En attendant, je ne vais pas avoir le temps de m’ennuyer, pendant ce week-end de pâques. La première soirée sera consacrée aux bavardages,  sur les trottoirs de l’avenue, qui bordent la maison des Ayedji. Pas de grasse matinée prévue pendant ce week-end prolongé! Samedi, je pars avec «Ro» aux champs. En effet, il a monté une coopération avec deux autres amis. Ils se sont associés pour cultiver un hectare et demi de terre dans un champ qui se trouve à 50 kilomètres de Lomé en direction de Pkalimé. Ils ont eu ce terrain grâce à Charles, père de René, qui est un des associés et le président de leur association. Leur famille a une grande maison, non loin de ces champs, où René a passé son enfance. La maman y vit encore, ainsi que des cousins. Le papa de René exploite plus de 10 hectares au même endroit. Il vit cependant, actuellement à Lomé, pour le travail. Il espère bien passer ces vieux jours près de ces champs après avoir fait construire une autre maison. A 6h30, nous partons en Zem (taxi-moto)  chez René et son papa. Rachid nous accompagne. C’est le voisin et  meilleur ami de «Ro», pas encore associé, mais qui devrait le devenir. 

Plusieurs fois dans ce week-end, je vais avoir le droit à «l’heure africaine»! Ceux sont les togolais qui utilisent cette expression pour désigner le fait que ce n’est pas par ce qu’une heure de rendez-vous a été fixée, qu’elle va être respectée. Le fait d’attendre, parfois plusieurs heures sans rien faire, avant que ce qui été prévu se produise, n’est pas une rare exception mais plutôt la règle majoritaire. En cette matinée, nous n’allons pas déroger à cette vérité. Arrivé à 7h00 chez Charles et René, nous ne partirons qu’à 9h30. En voyage, je prends cela avec philosophie et trouve toujours un point positif à la situation. Je sais que je serais monté en pression si cela m’était arrivé en France, que ce soit pour des raisons professionnelles ou personnelles. En cette matinée, je vais apprendre à mieux connaître Rachid. Nous prenons le petit-déjeuner ensemble. Nous avons pris dans un stand de rue, une bouillie sucrée à base de Mil avec des beignets. Nous découvrons ensuite l’élevage intensif de porcs de Charles qu’il a commencé, il y a quelques mois. Finalement, après 2h30, de patience, majoritairement assis sur un banc, nous montons à l’arrière du pick-up. Seulement pour deux minutes, car nous nous arrêtons chez un garagiste qui devait avoir réparé la roue de secours  depuis la veille déjà. Le travail n’a pas été fait. Charles décide donc, après quelques minutes, de partir sans, et de la récupérer plus tard. Nous faisons un autre arrêt pour prendre de l’essence. Finalement nous prenons la route non goudronnée, ocre, qui va nous mener aux champs. C’est un bonheur de sortir de cette grande mégalopole pour nous retrouver très rapidement au milieu des champs, de la verdure, de petits villages traditionnels. Nous nous arrêtons à la maison familiale qui se trouve un peu plus qu’à mi-chemin. Nous saluons toute la famille. Nous y prenons de l’eau, des vivres, les semences. 

Nous reprenons finalement la route quelques minutes plus tard. Nous ne ferons qu’une dizaine de kilomètres avant d’entendre un bruit énorme, que le pick-up  soit totalement déstabilisé. Charles arrive, sans problème, à rétablir la course, puis à stopper le véhicule. La roue arrière droite s’est totalement déchirée sur la majeure partie de son diamètre. Ironie du sort, nous n’avons pas récupérer la roue de secours, nous ne pouvons donc pas repartir dans l’état. Charles prend les affaires en main. Nous démontons la roue. Ce dernier grimpe à l’arrière d’une moto. Il part dans son village familial, à quelques kilomètres de là, pour trouver un pneu de rechange. 

Rachid, René, Ro et moi-même allons attendre sur place. Nous sommes dans un tout petit village en bordure de route. Les habitants nous accueillent les bras ouverts. Ils nous offrent des sièges et bancs pour nous assoir. Les enfants sont étonnés de me voir. Ils sont intrigués, parfois apeurés. Nombreux d’entre-eux m’appelle «Yovo, Yovo, bonsoir! Bonne arrivée! » Je leur réponds avec un grand sourire. Je ne peux cependant pas faire cela indéfiniment alors que les enfants s’amusent parfois à le répéter des dizaines de fois. Dans ce village, ils ont une vie très simple dans des cases de terre avec des toits de chaume. Majoritairement, ils sont agriculteurs. Il s’agit souvent d’autosubsistance avec quelques rares extras. Nous passons notre temps à jouer avec les enfants, discuter et regarder ce qui se passe sur la route. C’est impressionnant de voir le nombre de personnes qui marchent, au bord de cette voie de terre, pendant des kilomètres, portant parfois de très lourdes charges. Je pourrais croire aussi que les togolais font un concours, sur les motos, du plus grand nombre de personnes. Le record reviendra à une famille qui sera au nombre de 6. Les deux parents, trois enfants assis et un enveloppé dans un pagne et mis dans le dos de la maman. Les 4 amis adultes, sur la même moto, qui passeront un peu plus tard, détiennent aussi un record assez impressionnant. 

1h30 plus tard, nous revoyons Charles revenir dans un nuage de poussière ocre. La roue est réparée. Le remontage n’est alors qu’une simple formalité. Quelques minutes plus tard, nous pouvons reprendre notre marche en avant après avoir remercié les villageois. Sur la route aussi, les sollicitations sont multiples me concernant. Des petits comme des grands, des enfants comme des adultes se retournent en me voyant à l’arrière de ce pick-up, ils me font signent, me saluent, m’appellent... Ce n’est sûrement pas tous les jours qu’un «blanc» circule sur cette route pour aller aux champs. 
Nous allons arriver un peu en retard dans les champs. Il est déjà midi! Les gags décident alors de  commencer par préparer le repas. Nous mangerons une grosse platée de riz, accompagné d’une sauce avec de la tomate, des oignons, du piment et des bouts de moutons qui a été égorgé la veille. Cela faisait longtemps que je n’avais pas mangé de cette viande au goût prononcé. Ajouter aux épices assez fortes, cela fait un repas détonnant. 

Il est 14h30 quand nous allons finalement commencer à travailler, 8h00 après être parti de la maison. «Ro » me dit que je vais fuir le champ car le travail qui nous attend est trop dur. Semer du maïs n’est pas une activité que je trouve harassante. Surtout qu’il reste qu’une petite parcelle à semer et que nous finirons seulement après 1h30 de travail. René fait des trous dans la terre bien molle à l’aide d’une perche, alors que nous introduisons 3 ou 4 semences avant de refermer le trou. Nous ne devons vraiment pas avoir la même notion de la pénibilité. Heureusement, nous allons procéder à d’autres travaux dans ces champs. Nous allons récolter des citrons greffés et des oranges. Le plus physique, et qui demande un vrai coup de main, consiste à dégager, à l’aide de machettes les noix de palmes en énorme «bouquet» ou paquet. Ils sont planqués derrière les branches des feuilles si distinctives du palmier.  Je prends un réel plaisir à faire ces nouvelles activités. Je passe un bon moment en pleine nature. Il est 17h30 quand nous prenons le chemin de retour. Nous rejoindrons Lomé alors que la nuit est déjà bien installée. Nous avons assisté à un très beau coucher de soleil en route. Le pick-up se transforme alors un peu, en transport en commun. Nous prendrons de nombreuses personnes sur la route, pour les amener à destination, alors qu’elles marchaient dans le noir. La journée aura été bien pleine car nous rentrons chez Ro, à 20h00 passé. 

La famille s’apprête à partir à la messe de la veillée Pascale. Ici, Pâques est vraiment mise en avant comme le plus grand événement pour les chrétiens. Beaucoup de personnes sont allés à la messe le jeudi pour célébrer la Scène, ou dernier repas du christ avec ces apôtres. Pendant que je travaillais, le vendredi, la famille Ayedji ou des mamans de l’orphelinat sont allées au chemin de croix. Ce soir, c’est le grand soir pour célébrer la Résurrection du Christ. La victoire de la vie sur la mort. Je ne me rappelle pas de cette ferveur, en France, pour cet événement de la chrétienté. Je me rappelle quand j’étais plus jeune et que je suivais une éducation religieuse que Pâques était important mais je ne l’aurais jamais placé avant les fêtes de Noël, s’il y avait à choisir un ordre d’importance. Participer à cette fête dans ce pays me permet de reconsidéré la chose. La messe commence à 21h00. Ils ne rentreront que le dimanche matin à 2h30, après avoir célébré cet événement en grand pompe. Une messe de 5h30! Je n’avais encore jamais vu ça. Même si je pense qu’il aurait été très intéressant de prendre part à cette cérémonie, je ne suis pas mécontent d’avoir renoncé à y aller comme Ro. Je me suis joins à eux par la pensée et les prières, très rapidement seulement dans mes songes. Je me suis endormi bien longtemps avant qu’ils ne rentrent à la maison.

Le dimanche est donc dans la continuité de la cérémonie de la veille. C’est autour d’un bon repas que nous allons déjeuner. Ils ont égorgés une chèvre la veille au soir. Après avoir pillé l’Igname, nous mangerons tous dans le même plat du Foufou, des légumes et donc de la viande de chèvre. J’aime le fait de partager ce repas avec tout le monde, de manger dans un seul grand plat, au milieu de la table, avec la main droite (malgré que je sois gaucher, je me suis habitué, sans mal, à manger toujours avec la «main propre»). Malgré l’aspect social et d’entre-aide mise en avant dans ce pays comme dans beaucoup d’endroits en Afrique, ils ne partagent que rarement les repas ensemble. J’ai très souvent mangé seulement avec Ro, parfois avec son frère Alex, et sa belle-sœur Greta, mais jamais avec toute la famille. Cela fait partie des aspects culturels qui nous différencient dans nos habitudes. Je me souviens qu’à la maison, le soir en semaine et la majorité des repas du week-end, nous les prenions toujours ensemble. C’était le seul moment où nous étions réunis et nous prenions le temps de nous retrouver, de parler de tout et de rien. Ici, non seulement, ils mangent rarement ensemble mais en plus, il avale leur repas très rapidement avant de passer à autre chose. Pas le temps de parler, pas le temps de discuter à ce moment de la journée, il faut manger avant que la pâte ou le Foufou deviennent froids et qu’ils ne soient plus très agréables au goût. Ce repas ne déroge pas à la règle. Je suis le dernier devant le plat presque vide. Ils connaissent les différences d’habitudes. Ils me laissent donc la fin du plat pour que je sois rassasié et pas désavantagé par le fait que je n’engloutisse pas aussi rapidement qu’eux ma nourriture.  Après une après-midi assez calme, chacun vacant à ces occupations, beaucoup se reposant après cette longue veillée de la veille, nous mangerons encore quelque chose d’exceptionnel dans la famille; Une salade verte composée! C’est un vrai repas de fête! Je sais que cela ne serait pas possible pour moi sur du long terme. J’ai besoin de manger des fruits et des légumes quasiment quotidiennement ce qui est assez rare chez eux.
Le lundi de pâques est férié. Même si j’avais voulu aller travailler à la pouponnière, je n’aurais pas pu, sauf en payant un taxi-moto. Il n’y a aucun bus public qui circule. Je suis invité avec les enfants de la famille à faire la fête chez un ami. Là encore, je vais passer un très bon moment. Nous n’avons pourtant pas les mêmes idées de ce genre d’événement. De plus, de mon côté, j’ai vécu des fêtes très fastueuses comme à Miami. Je ne recherche pas à retrouver ce genre d’ambiance. Des choses simples me conviennent très bien mais d’autres choses sont contre ma nature propre. Premièrement ils m’avaient tous dit que nous ferions la fête dès le matin. Finalement, je me rends à la messe avec Sylvia et Ro, à 7h00 du matin. Nous retournerons ensuite à la maison où ne repartirons qu’à 11h30. Et heureusement car, quand nous arrivons à la maison où la fête doit se dérouler, nous sommes quasiment les premiers convives. Ensuite le repas n’est pas prêt! Ils vont passer plus de 2h00 dans les cuisines à préparer la pâte et le Foufou avec les sauces. Ils n’ont pas prévenus les personnes qu’il fallait participer et ramener quelque chose. Nous allons donc acheter du Sodabi dans une petite boutique de quartier. Finalement à 14h00, la fête peut commencer. Il n’y a que des hommes, seulement Sylvia Déroge à la règle. Alors que tout le monde m’avait dit que nous danserions jusqu’au petit matin, la gente féminine manque au rendez-vous. Mais quand j’évoque le sujet, la majorité des convives pensent que c’est moins de problèmes comme tel. 

Nous passons finalement un bon moment, autour du repas, de la dégustation de Sodabi, Dé ha, et vin rouge âpre très loin de la qualité à la française. Avec les quelques motivés qui resteront nous allons danser sur la terrasse, avoir quelques fous-rires. Ro et Sylvia fatigués sont allés se reposer dans une chambre puis ils sont rentrés. Quand j’ouvre la porte de leur maison à Alex, autour de 18h00, pour qu’il rentre sa moto, cela fait longtemps que les autres sont rentrés. Ce week-end prolongé de trois jours est passé trop vite. Cela implique que j’ai passé un bon moment. Et je suis aussi très content de retourner à l’orphelinat le lendemain. Je vais passer la plus grande partie de la soirée à discuter avec Aida, la voisine et amie de Laetitia, de la pluie du beau temps, des problèmes de cœur de cette jeune de 17 ans. A ce niveau-là, une fois encore, tous les êtres vivants sont égaux. Les douleurs des premiers amours sont toujours assez difficiles à digérer. Je ne m’inquiète pourtant pas pour elle dans un futur plus ou moins proche, elle retrouvera quelqu’un de bien, au vu du nombre de prétendants qui aimeraient l’avoir dans leurs bras.


J’ai mis mon réveil à 4h50, en ce mardi 22 Avril. Je vais courir 1h00 de temps, à la lumière de lampadaires du grand axe routier qui passe devant la maison. Faire de l’exercice physique me fait un bien fou. Je trouve encore plus de bénéfices à le faire le matin car cela me met en forme pour le reste de la journée. Après quelques étirements, une douche fraîche, le trajet en bus, je vais adorer les retrouvailles à la pouponnière. Les sœurs et employées m’accueillent avec le sourire. Ceux sont surtout les réactions des «grands » qui font me combler! Quand je rentre dans la salle à manger tous, ou la grande majorité, me reconnaissent. Ils m’accueillent avec des «Papa, papa, bon’rivée» (bonne arrivée). «Papaaaa, Papaaaa » s’exclame Ange. Alexandra me fait un grand sourire avant de me sauter aux bras. Anicet, Daniel, Rémy, Joseph veulent aussi leur part de temps dans mes bras. J’en fais sauter certains dans les airs. Ça les amuse beaucoup! Je vais les aider ensuite à se déshabiller pour être placé sur les pots. Je ne reste pourtant pas avec eux aujourd’hui. Nous avons en effet prévu avec Sœur Aimée, que je sois affecté pendant deux jours au service des «Bébés 2». Il s’agit des enfants qui savent se déplacer à 4 pattes mais qui ne marchent pas enore. Ils ont entre six mois et un peu plus d’un an. Ils se prénomment Marie-Philippe, Estelle, les jumeaux Pierre et Paul, Gracia, Denise, Noël, Delphine, Pierre-Yves, Claudine…  Une des sœurs novices; sœur Marie, est affectée à ce service. Elle va très vite me donner pleins d’informations. Je vais commencer par prendre avec moi un des jumeaux, Paul. Une relation très forte va se créer immédiatement. Pendant les 2 jours avec lui, il viendra me voir immédiatement à chaque fois que j’apparaitrais dans une pièce, toujours avec un grand sourire. L’emploi du temps est assez similaire au plus grand. Le matin, après le petit-déjeuner, ils vont dans la salle de change, passent par la case pot de chambre, et revêtent des habits propres. Après cela ils sont amenés dans une salle de jeux, qui leur est dédiée. Des jouets, des poupées, des jeux éducatifs sont mis à leur disposition. Nous allons rester toute la matinée dans cette pièce. Il est intéressant de voir les affinités qui se sont créées avec les mamans, ou en 7 mois pour la sœur. Les enfants reconnaissent facilement les personnes qui sont présentes depuis longtemps. Mais chaque enfant réagit différemment selon la personne qui s’occupe de lui. Très vite, je peux voir la différence des besoins et capacités des enfants de ce groupe par rapport à leurs aînés dont je me suis occupé la semaine passée. En fin de matinée, je vais néanmoins assister à un grand moment dans la vie d’un enfant. Sœur Marie est proche de 3 filles dont Claudine. Alors que nous sommes dans le couloir, sœur Marie l’aide à se mettre debout comme depuis quelques jours. Mais cette fois-ci, elle va faire ses premiers pas toute seule. J’ai vraiment de la chance de pouvoir être un observateur de ce grand moment. Sœur Marie la félicité chaudement et Claudine répondra immédiatement par des grands sourires. Un enfant ressent beaucoup de choses. Il comprend très bien quand il fait quelque chose de bien… ou de mal. L’enfant a besoin d’encouragements, de soutiens, de structures autour de lui. Claudine peut être fière d’elle. Encore quelques jours ou semaines, et elle pourra rejoindre le groupe des «grands».

A midi, je suis de nouveau convié à me joindre à la table des sœurs du séminaire Sainte Claire. Je vais passer plus d’une heure à partager un bon repas, animé par des discussions intéressantes. Ensuite, nous débarrassons et faisons la vaisselle ensemble. Ceux sont peut-être de petits détails mais qui font une grande différence à mes yeux. J’aime ce  moment convivial, ce moment de partage. Puis sœur Marie a fait préparer une chambre pour que je puisse me reposer. Toute la semaine, je vais renouveler ce même rituel à l’heure de midi. Je vais manger sainement, copieusement,  apprendre de la vie de ces sœurs, avant de me rendre dans ma chambre. J’y fais une sieste pendant plus de 20 minutes et reconnecte ensuite avec mon passé proche en écrivant quelques lignes sur mon expérience de voyage dans ce pays.

L’après-midi se passe une nouvelle fois sous le signe du jeu, de l’éveil, des câlins et, pour ma part, la découverte des personnalités de chaque enfant. Un constat est flagrant. La vie en communauté fait que la majorité d’entre-eux ne sont pas farouches «pour un sou». Même s’il existe parfois des gestes brutaux involontaires de l’un vis-à-vis de l’autre, souvent ils s’entendent bien, se découvrent, ou ne portent pas attention aux activités de leur frère et sœur de l’orphelinat. L’adaptation des enfants est impressionnante. Au moment, des repas, les mamans ne sont pas assez nombreuses. Elles n’ont pas assez de bras pour donner à manger à tout le monde. Quand les premiers enfants mangent, les autres attendent patiemment, «sans broncher», sans réclamer, ou se plaindre de ne pas être les premiers ou au minimum servis en même temps que les autres. Même chose quand ils sont sur le pot, dans les fauteuils pour être préparés ou lavés. Certains sont prêt bien longtemps avant les derniers, obtenant ainsi beaucoup plus de temps libres, mais les derniers restent patiemment assis jusqu’à qu’une maman les appellent. Ces enfants sont, en général, plutôt très sages. Ils sont en demande d’affection permanente, ce qui me convient parfaitement.   C’était un leitmotiv de vouloir aider mon prochain lors de ce Vol Libre. Je le savais déjà mais plus mon «prochain» est jeune plus j’ai envie de donner mon meilleur, de partager ma joie de vivre, mon sourire. J’avais envie de donner sans compter, sans rien attendre en retour. Pourtant je reçois plus que jamais! Les mamans et les sœurs sont agréables à côtoyer, nous passons de bons moments, nous rigolons bien! Pleinement satisfaites de mon travail, elles savent me le dire et le faire savoir. Je ne vous parle évidemment pas, en détail, des enfants, de tout ce qu’ils m’apportent comme bonheur. C’est le cas aussi avec les «bébés 2» que je découvre en cette première journée. C’est devenu vraiment très fort avec certains grands, la majorité d’entre-eux, qui me réservent un accueil en «grandes pompes», à chaque fois qu’ils me voient, venant me sauter au cou, m’appeler dès qu’ils m’aperçoivent, être en demande de jeux et d’affection. Je me sens vraiment bien dans ce milieu où pourtant l’histoire de ces jeunes n’a pas commencer de la meilleure des façons. Le bonheur est présent et fort, dans cet endroit. Je suis heureux de pouvoir apporter aux enfants ce que les «mamans» n’ont pas toujours le temps de faire en raison de toutes les tâches ménagères qu’elles doivent effectuer avant de s’occuper vraiment des enfants. Pour ma part, j’ai plus de temps pour être avec les enfants, jouer avec eux leur donner de l’affection. Les «Mamans» le font très bien aussi mais elles doivent être un peu plus autoritaires. Temporellement parlant, elles ont moins de temps pour répondre à des demandes continues d’enfants qui recherchent de l’Amour qu’ils n’en ont jamais eu autrement.

Le deuxième jour avec les «Bébés 2» sera différent de celui de la veille. Le programme horaire reste inchangé mais certains détails font une grosse différence. J’apprends que les deux jumeaux, Pierre et Paul, partent dans leur famille en fin de matinée. En effet, ces deux petits garçons ne sont pas des orphelins. Leur maman a psychologiquement dérayée au moment de leur naissance. Elle était alors incapable de les élever.  Personne n’était là pour eux à ce moment précis. La maman n’est pas totalement remise mais les grands-parents et une sœur, après un suivi avec les assistantes sociales, ont décidés de les prendre en charge et de les élevés. C’est une très bonne nouvelle pour ces enfants qui retournent dans leur famille. Pourtant, la déchirure se lit facilement sur le visage de quelques mamans qui se sont attachées à ces «bouts de chou». Elles sont ravies pour eux. Mais comme toute séparation entre des personnes qui s’apprécient, les premiers moments sont durs. Et voici l’effectif des «Bébés 2» réduit de 11 à 9 enfants. Comme me le disait l’assistance sociale, la pouponnière a surtout été créée, voici des années, pour prendre en charge des enfants qui avaient perdus leur maman pendant l’accouchement. La famille était alors souvent incapable de prendre en charge cet enfant. Ce dernier mourrait très régulièrement fautes de soins et de nourritures appropriés. Les accouchements sont maintenant beaucoup plus sûrs mais les mots de la société moderne sont autres. De plus en plus de mamans abandonnent leur progéniture. Les données d’entrée ont peut-être évoluées un peu mais malheureusement, le résultat est le même: des enfants sans leurs parents et soumis à eux-mêmes, alors qu’ils sont encore totalement dépendant d’être adultes. je ne pense pas que ce soit demain la veille que de telles structures fermeront pourtant nous le souhaitons tous. Un enfant devrait vivre avec ces parents. Mais d’un autre côté, quand je vois les conditions de vie dans certaines familles du pays, je me dis, parfois, que ces enfants ont beaucoup de chance d’être dans ce genre de structures plutôt que soumis à des conditions de vie épouvantable dans leur famille. Leur famille de cœur, à la pouponnière prend vraiment soin d’eux. Cela ne peut que me donner le sourire quand je vois l’aspect positif de la situation.

Dans un registre totalement différent, j’expérimente, en cette journée, les comportements parfois lunatiques des enfants sans que je puisse savoir pourquoi. Par exemple, lors du repas du midi je donne à manger à deux enfants. Sylvain pleure à grosses larmes tant que je ne lui donne pas à manger. Il est pourtant le premier que je sers. Il fera une crise après que j’ai fini de lui donner sa ration, alors que je donne à manger à Denis. Il n’arrêtera pas avant qu’une maman ne lui donne une cuillérée de plus du repas salé. Il arrête alors instantanément ces pleurs. Puis, quelques minutes plus tard, Il va rire aux éclats en jouant avec un torchon qui se met sur le visage. Au contraire, Denise est super gentille. Elle mange très bien.  Elle, qui a plutôt le visage fermée, me fera de grands sourire à la fin du repas. J’arrive même à la faire rire. Pour le dîner à 16h00, les rôles vont s’inverser. Sylvain mange sans problème. Il reste calme après que j’ai fini de lui donner à manger, et que je m’occupe d’un autre enfant. Quand le tour de Denise arrive, elle ne va pas être facile. Elle pleure, elle ne veut pas manger. Comme quoi à quelques heures d’intervalles les choses peuvent être totalement différentes même chez les enfants. Mais c’est pourtant plutôt de bons moments. Denise sera y veiller personnellement en me faisant de grand sourire quand j’irais la coucher après avoir été à la douche. Ces enfants me donnent beaucoup. Les «grands» particulièrement. C’est alors un plaisir d’aller aider les mamans à les changer avant de partir même si cela n’est pas dans mon programme de la journée. C’est une façon de recevoir un plein d’Amour et de finir la journée en beauté. Je suis ravi de ce début de semaine. Demain, une nouvelle expérience m’attend.

Nous avons décidés avec Sœur Aimée qu’il serait très intéressant pour moi de passer par les différents services de l’orphelinat. Le jeudi 24, je pars chez les «bébés 1». Ceux sont les enfants qui ont de quelques jours seulement, à 6-7 mois. Le passage chez les «bébés 2» se fait seulement quand ils marchent à quatre pattes, sont assez autonomes, et mangent en assez grande quantité une nourriture diversifiée. Comme il s’agit pour la plupart des enfants abandonner par leurs parents, ils arrivent alors qu’ils n’ont que quelques jours d’existence sur notre planète terre. Ils ne rejoignent pas directement le service. Ils sont en isolement pendant les 10 premiers jours qui suivent leur arrivée. Cela permet de faire des tests, d’éviter un risque important d’infecter les autres enfants. Si les tests sont concluants, leur état de santé au beau fixe, ils passent trois jours de plus dans une chambre séparée des autres «bébés 1». Puis normalement, ils rejoignent le groupe des autres enfants. L’isolement sert aussi pour les enfants déjà présents à l’orphelinat, dans le cas d’une maladie transmissible facilement aux autres enfants.  Trois enfants, qui n’ont que quelques jours, viennent tout juste de rejoindre le groupe. Je les voyais, avant, tous les matins, dans la salle d’isolement au rez-de-chaussée. Leur tête tient dans ma paume de main, pourtant pas très grande. Ils ne dépassent pas mon avant-bras en longueur quand je les allonge. Eustache, l’un d’entre-eux, qui tremble souvent de tout son corps, semble encore plus frêle que tous les autres. Ils sont douze enfants dans ce service. Ils se prénomment: Justine, Samson, Robert, Sara,  Raphaïla, Kénéchi, Andréa, Eustache, Essossina, les faux-jumeaux, Mawuena et Mawuegnigan (prénoms qui veulent dire Dieu tout puissant et Dieu de l’intérieur en Ewé), et Apolline qui est en isolement. C’est le service où les bébés sont le plus différents. Entre ces nourrissons de quelques jours qui ne font que quelques grammes et des gros bébés de 6 mois, avec des bourrelets, ayant profité de l’abondance de nourriture  et ne faisant pas beaucoup d’activités, il y a un monde. Dans ce service, encore plus que dans les autres, la journée tourne autour des repas, du fait de changer les bébés, et leur temps de sommeil. Par contre, quand ils sont réveillés, les moments peuvent être très forts. La douche est toujours un instant spécial. Très peu des enfants l’aiment. Cela ressemble souvent à de la torture, un supplice à passer comme pour les plus grands... Mais en pire! Beaucoup pleurent tout le long! Entre le savonnage, les baquets d’eau sur la tête, ils n’ont pas de préférence. Le moment de délivrance vient pourtant rapidement après. Quand la «maman» me les passe dans les bras, quand je commence à les essuyer, les badigeonner de talcs, et les habiller. Ils cessent instantanément de pleurer. Ils retrouvent immédiatement le sourire.

J’adore leur donner leur biberon. C’est un moment où le lien est fort, où l’enfant, calme, passe la plupart de son temps à te regarder droit dans les yeux.  La symbiose est forte. Les liens se renforcent.  A la suite de ce dernier, nous devons les tenir droit, attendre qu’ils fassent leur rot. Le moment de la sieste ou de les coucher pour la nuit est aussi particulier et sympathique. Les installer dans leur petit lit, jouer avec les plus grands d’entre-eux,  mettre une peluche à leur disposition, bercer les plus petits, avant de les embrasser, sont des gestes, des actions simples qui auront pourtant une grande répercussion sur leur avenir.

En effet, je crois sincèrement aux théories de Freud. Je suis persuadé que les premières années de notre vie ont un impact déterminant pour l’équilibre d’une personne. Un être humain, à sa naissance, arrive sur la planète terre, avec des prédispositions, des capacités à développer. Il ne possède aucune structure, liée à la société dans laquelle il va évoluer. C’est une vraie éponge, qui va intégrer rapidement ce que les personnes, qui le prennent en charge, vont lui éduquer. Incapable de marcher, de parler, ou de survivre seul, il est pourtant affecté par tout ce qui se passe autour de lui.

Ces parents, ou les personnes qui sont ces tuteurs sont de vrais modèles. Je ne veux pas faire de morale aux parents. Je ne prétends pas connaître, la manière d’éduquer un enfant qui pourrait, à coup sûre, le rendre heureux. De plus, je n’ai aucune expérience personnelle dans ce domaine, n’ayant pas encore d’enfants. Pourtant, j’ai été moi-même, un petit être frêle sortant du ventre de ma maman. J’ai reçu une certaine éducation. Au travers de discussions, de récits que j’ai lus, d’analyses de certains psychologues, je suis persuadé que les premières années de la vie sont déterminantes! Si chaque enfant pouvait recevoir de bonnes bases pour commencer sa vie, un avenir prometteur se présenterait alors à lui. Mon expérience et avis me font dire que trois paramètres sont primordiaux. Le premier concerne l’Amour que l’enfant va recevoir. Tout être vivant a besoin d’affection. Sans cette dernière, il risque de ne pas trouver un équilibre sentimental. Le deuxième est les règles inculquées par les personnes en charge de son éducation. Tout le monde a besoin d’une structure pour évoluer dans une société donnée. Ceci lui permettra d’avoir un comportement adéquat vis-à-vis d’autrui, de lui-même. Il trouvera sa place. Il pourra évoluer dans le monde qui l’entoure en gagnant sa liberté, sans affecter celle de son prochain.

Ceci m’amène au troisième paramètre, qui concerne l’accession à l’indépendance. Les futurs parents ne doivent pas penser à faire des enfants pour les garder pour eux. Beaucoup d’enfants sont trop préservés en occident, en France par exemple. Les parents, souvent la maman, les laisse dans un cocon doré où ils n’apprennent pas à se débrouiller seul, où tout leur est dû. Pourtant je ne pense pas que cela les avantages et leur permettent de s’épanouir rapidement. Très souvent, ils tomberont de haut, quand maman et papa ne seront plus derrière-eux pour tout leur faire, quand ils devront prendre leur indépendance financière. A l’opposée, dans beaucoup de pays, dans les milieux défavorisés, comme en Afrique, les enfants se retrouvent trop rapidement soumis à eux-mêmes, devant se débrouiller seul. Ils n’ont pas la chance de connaître l’insouciance d’une enfance heureuse. Les seules activités d’enfants qui ne consistent qu’à jouer avec les autres, manger, et dormir, ne sont qu’un doux rêve. Ils sont, quant à eux, trop rapidement jetés dans la société, où pour survivre et se nourrir, il faut travailler, gagner de l’argent, s’occuper des frères et sœurs délaissés. Comme pour de nombreuses choses, le juste milieu entre ces deux situations extrêmes serait l’idéal. Mais la situation parfaite n’existe pas dans ce bas-monde. Malheureusement peu d’enfants ont la chance d’avoir des parents qui peuvent leur apporter tout ce dont il peut avoir besoin pour envisager une vie saine.

Les enfants de l’orphelinat Sainte Claire auront, je pense, la chance d’avoir été éduqué avec de très bonnes bases pendant les premières années de leur vie. Il ne reste plus à espérer que la famille d’accueil qui les recevra poursuivra leur éducation dans la continuité de ce qui leur aura été apporté dans ces locaux. En ce vendredi 25, j’effectue mon dernier jour sur place, avant de partir pendant quelques semaines dans le pays voisin qui se dresse à l’orient. Le Bénin m’ouvre son territoire. De nouvelles aventures me sont promises sur place. Je sais que l’expérience sera totalement différente. Cela me réjouit! Pourtant, j’ai un pincement au cœur, au moment de dire au revoir à tous les enfants, aux «mamans», aux sœurs, surtout deux sœurs novices, que je ne reverrais sûrement plus.  C’est encore une fois les côtés un peu plus durs à accepter lors d’un tel voyage. Mais je l’assume parfaitement. Concernant les enfants et les personnes travaillant sur place, je les reverrais très vite. Qu’est-ce que quelques semaines avant de les revoir? Rien du tout, surtout au vu de l’expérience qui me tend les bras. J’emporte avec moi le souvenir de ces enfants qui me sautent au cou, de la tendresse qu’ils  aiment recevoir surtout après m’avoir apprivoisé. Les «Papa, Papa, Papa» résonnent encore dans ma tête. Je ne sais pas qu’elle sera leur réaction dans plus de 3 semaines. Je ne sais pas s’ils me reconnaitront tous aisément. Peu importe, je suis sûr que ces moments ensemble sont marqués d’une façon ou d’une autre dans leur esprit. Pour ma part, je ne suis pas prêt de les oublier.

Le début de week-end avec la famille Ayedji se passe très bien et simplement.  Rien de particulier au programme. Nous passerons beaucoup de temps à échanger sur divers sujets. Je passe du temps avec les voisins. Nous mangeons les repas typique du terroir. Le foufou et la pâte avec une nouvelle sauce sont au menu de ce samedi. Le midi nous agrémentons le repas avec un vin cuit, ce qui est assez rare pour être noté.  Je joue avec Alice et Reine, à différents jeux pour enfants. Je discute avec Aïda sur le toit de son immeuble. Je déguste une noix de coco fraîche dans un petit stand de rue près de chez eux. Comme d’habitude, je vais chercher des sachets d’eau de 500ml à 25 Francs CFA dans la petite boutique de quartier. Je paie, comme convenu, le loyer et la somme dû pour les repas du soir à la Maman de Ro. Nous regardons un match de football avec les hommes de la famille dans le salon des parents. Je vais me coucher pour la dernière fois de ce séjour dans ma chambre, le matelas à même le sol, la moustiquaire tendue pour rester le meilleur rempart contre les pires ennemis de la région; les moustiques.
 

Je viens de passer de très forts moments avec les togolais qui sont un peuple excessivement chaleureux, sans aucune animosité et  voir très accueillant, à toute âge et au niveau de toutes les classes sociales.

Nous sommes déjà le dimanche 27 Avril 2014. Rendez-vous a été pris avec une personne, chère à mes yeux, au Bénin. Je vais donc découvrir un nouveau pays. Le voyage se fera de façon totalement différente à mon évolution des derniers mois. Je ne sais pas à quoi m’attendre. Pourtant, je suis optimiste, confiant!  Avec le groupe que je vais retrouver nous partageons plusieurs passions communes.  Nous aimons les voyages. Mais plus encore, la technologie et le matériel adéquat nous ont permis de nous retrouver dans le ciel, dans les airs avec une sensation de liberté ultime. Je vais découvrir le moyen de le moins cher de s’offrir le ciel en toute indépendance. 

Avant de les retrouver, je dois faire le trajet depuis le centre-ville de Lomé jusqu’au poumon économique du Bénin qui est la grande ville de Cotonou. Il est 6h00 lorsqu’Alex et Ro, partant à leur entraînement de football, me trouvent un taxi qui me déposera au niveau du grand marché. Je saute d’un taxi collectif à un autre. Je pense pouvoir directement partir pour la destination voulue. Mais des clients se désisteront au dernier moment. Après plus d’1h30 d’attente, nous partons tout de même, en direction de Cotonou. La route goudronnée est belle. Après moins d’une heure de route, nous sommes déjà à la frontière entre le Togo et le Bénin. Aussi surprenant soit-il, les démarches avec les douaniers et les policiers vont très bien se passer. Il me faut seulement quelques minutes pour faire tamponner mon passeport auprès des  2 services frontaliers. Mon visa de l’Entente étant parfaitement valable, possédant mon carnet de vaccination international (vaccin de la fièvre jaune effectué), le passage dans cet autre pays francophone, de l’Ouest Africain, est alors qu’une simple formalité. Je suis accueilli avec un grand sourire par le policier en charge de la validation de mon entrée sur son territoire. Tout le monde me parlait de corruption, d’abus de pouvoir. Pourtant une fois encore, je découvre des personnes sympathiques et honnêtes quel que soit leur activité professionnelle. Serait-ce un bon présage pour la suite de mes aventures? En tout cas, ce moment me laisse à le croire! Je ne sais pas encore que les événements à venir  vont me plonger  dans les aspects les plus louables, glorieux, fraternels mais aussi les plus pernicieux, pervers de l’être humain!